"Douce France ", l'expo sur Rachid Taha à absolument voir avant d'aller voter

À travers la personnalité et l’œuvre de Rachid Taha, l’exposition raconte en musique quatre décennies d’immigration. S’ouvrant au lendemain de la décolonisation de l’Algérie et s’achevant à l’aube du nouveau millénaire, « Douce France » retrace l’émergence artistique de toute une génération.
  • En accueillant cette exposition, le musée des Arts et Métiers de Paris a fait un pari culturel, certes, mais surtout politique. À l’heure où la stigmatisation et la peur de l’autre deviennent de véritables fonds de commerce pour certains, cette rétrospective prend le contre-pied et propose un récit à travers lequel l’interculturalité est une force, et non l’inverse. En fil rouge des quatre chapitres qui jalonnent le parcours, il y a la vie de Rachid Taha, rocker dans l’âme, combattant dans l’être. Un choix qui s’est imposé de lui-même, à la fois pour ses engagements dans la lutte contre toutes formes de racisme ou de discriminations, et la richesse de sa musique.

    Afin de dresser un portrait complet de ce qu’il s’est passé en France, le propos débute dans ce Paris nocturne des années 60. En plein cœur du Quartier Latin, les artistes orientaux les plus iconiques se rencontrent et se racontent, à l’image de Dahmane El Harrachi, Warda al-Jazairia, ou Noura. Une parenthèse enchantée qui se ferme en même temps que les 30 Glorieuses. Au commencement de la décennie 70, les travailleurs immigrés deviennent des cibles, accusés de porter tous les maux. C’est là que les premiers syndicats émergent, et qu’une scène musicale autonome se crée, bien loin du grand public. Rachid Taha, lui, n’est pas encore installé à Lyon.

    Avec l’arrivée des années 80, le mouvement « beur » se structure, en réaction aux crimes racistes et (déjà) à la stigmatisation des jeunes Maghrébins des quartiers populaires. Comme initiatives de grande envergure, des événements tels que les concerts Rock Against Police et la Marche pour l’égalité de 1983 fleurissent. Diffuseur d’un message prônant l’union et affichant une double culture, le groupe Carte de Séjour fondé par Rachid Taha s’impose en porte-parole de cette « France de la diversité ». En réinterprétant la chanson Douce France de Charles Trenet, la formation offre une visibilité certaine à ces femmes et hommes que le pays boude toujours. 

    Ce n’est que 30 ans après la déclaration d’indépendance de l’Algérie — prononcée le 5 juillet 1962 —, que les lignes vont se mettre à bouger. Malgré des émeutes qui secouent les banlieues françaises, comme à Vaulx-en-Velin (Lyon), la rénovation des quartiers populaires s’intensifie, en même temps que les mouvements culturels s’autonomisent. Les artistes qui hier encore étaient invisibles deviennent des acteurs incontournables, notamment à travers le rap et les précurseurs IAM et NTM, et plus tard, 113 ou Rocé. Finalement, en 1998, en remportant la coupe du monde de foot, la France célèbre la génération « black, blanc, beur ».

    Dans les années 90's, Rachid Taha se lance en solo, et ses albums « Barbès », « Olé Olé » ou « Diwan » sont salués pour leur avant-gardisme. Fin 2001, il obtient une Victoire de la Musique dans la catégorie Musique traditionnelle et musique du monde pour « Made in Medina ».

    Jusqu’à la fin, le rocker aura célébré et défendu ce mélange des genres et des gens. Une technique signature capturée une ultime fois en 2018 pour son disque « Je suis africain », dans lequel il a réuni tous les profils qui l’ont inspiré — de Kateb Yacine à Jacques Derrida. Plus qu’un album, il révèle tout un art de vivre, et apporte des réponses éclairées aux questions relatives à l’identité. Des solutions que cette exposition amène aussi, et qui l’impose donc en étape nécessaire avant d’aller voter.

    Crédits photo : Dircom Cnam © L.Benoit

    « Douce France », au musée des Arts et Métiers (Paris) du 14 décembre 2021 au 8 mai 2022.