2021 M10 11
En 1996, Tapie est au plus bas : rattrapé par les affaires judiciaires, il est ruiné et doit quitter le monde des affaires. Cette année, il est condamné pas moins de trois fois par la justice, et passe même six mois en prison à cause de l’affaire du match truqué Valenciennes-OM en 1993. Ceci marque également la fin de sa carrière politique, mais également un coup d’arrêt dans le monde des affaires. Il faut se reconvertir, ce qu’il fera comme acteur, mais aussi en revenant à la chanson, après y avoir échoué dans les années 60.
Cette même année, Doc Gynéco est au sommet. Il vient de sortir un premier album solo couronné de succès, après s’être échappé du Ministère A.M.E.R. Habile mélange de funk et soul avec des paroles plus consensuelles que beaucoup de ses collègues, sans en perdre le mordant, il gagne sur tous les tableaux. Cela lui permet d’ouvrir des portes étonnantes : dans la foulée, il publie un duo avec le groupe Rita Mitsouko. Le rappeur s’installe dans le studio personnel du couple, et commence à imaginer son second disque, avant de vite déménager. Très vite, l’envie se fait sentir de mettre en avant d’autres musiciens, certains issus du collectif Secteur Ä, dont Jacky des Nèg’Marrons, Tonton David, mais aussi MC Jean Gab’1 et même Renaud le temps d’une reprise d’Hexagone. Au final, le Doc ne pose sa voix que sur une poignée de titres.
En septembre 1997, on apprend que Bernard Tapie participe au projet. La rencontre s’est faite par un ami commun, avec qui Doc Gynéco allait souvent en boîte de nuit. Comme beaucoup, le rappeur est fasciné par cette figure, capable de conserver une image populaire malgré sa réussite et ses crapuleries. Au Monde, il en parle comme d'un « gangster moderne, un gangster de luxe ». Bien plus tard, en 2016, au micro d’Augustin Trapenard sur France Inter, il reconnaît que c’était une erreur. « J’en ai réussi pas mal, des duos. Et parfois, je me goure. J’ai aimé qu’il sorte de prison, etc. J’ai pas toujours fait attention à tout ce qui concernait les gens que j’ai fréquentés. […] J’aime quand les gens sont dans une situation difficile, qu'ils sont fragilisés. J’ai envie d’aider ». Déjà en 2007, dans son autobiographie, il affirmait : « Liaisons Dangereuses, c’est un album où je n’ai pas d’amis. On ne peut pas m’associer à Bernard Tapie, même si je l’ai fréquenté à un moment donné ». Malgré tout, au moment de sa mort, il rend hommage à l'entrepreneur, l'appelant son ami.
Bien entendu, Tapie est alors ravi de l’opportunité. Toujours au Monde, il explique : « Je ne pense pas chanter, ou alors une réplique ou deux. Cette chanson ne sera pas autobiographique. Il y aura de l'humour, or ma vie n'est pas marrante. » Il déclare également vouloir faire un duo avec IAM, ce qui, bien heureusement, n’est jamais arrivé.
En novembre 1998, le duo, intitulé C’est beau la vie, vient anticiper la sortie de l’album un mois plus tard. Et il fourmille de références à la vie de Tapie. L’idée générale du morceau est noble : Nanard et Gynéco se la jouent modèles, figures ayant réussi à sortir de la rue, et incitant les jeunes à éviter la délinquance et les gangsters, qui « contrôlent l’affaire ». « Arrête de compter en barrettes », « faut que tu votes, mon pote » assène Tapie, avant que la chanteuse Assia n’assure les chœurs : « C’est beau la vie ».
Mais en réalité, il est clair que le repris de justice vient "redorer son blason" (sic) dans une belle opération de séduction. « Touché mais pas coulé, merci d'l'invitation ». Son dernier couplet est une pure mystification afin de se justifier : « Tu croyais quoi ? Qu´il y avait les bons, qu´il y avait les blancs, Qu´il y avait les noirs et les méchants. […] Ah, tout n'est pas si facile ». Mais le plus lunaire reste quand le Doc demande à son nouvel ami « Alors putain dis-moi ce match on te l’a vendu ? » , et le concerné de répondre « Mais tu rigoles ! Je les aime à Valenciennes ».
Difficile de déterminer à quel point ce morceau a joué, mais Tapie a bien réussi à se refaire, notamment au théâtre, avant de finalement revenir aux affaires à la fin des années 2000. Quant au Doc, au fond, toute cette histoire anticipait à merveille ses errements à venir. En 2006, ce militant antiraciste qui se déclarait de gauche se laisse séduire par Nicolas Sarkozy, et lui amène son soutien pour la campagne présidentielle de 2007. Il perd ainsi toute crédibilité dans le milieu rap puis, l'année suivante, s'engage sur la même route que son "ami Tapie" en étant lui aussi condamné à de la prison (avec sursis, néanmoins) pour fraude fiscale. Parfois, il n’y a pas de hasard.