2021 M04 12
Pour beaucoup, DMX était l’incarnation d'un rap connecté à la rue, foncièrement underground malgré son succès commercial ; le symbole parfait de ces bangers puissants et rugueux que l’on interprète la poitrine gonflée. Les exemples abondent : X Gon’ Give It To Ya, Ruff Ryder’s Anthem, Party Up (Up In Here), Where The Hood At ?. On rate pourtant beaucoup du rappeur new-yorkais si on ne perçoit pas derrière ses hymnes testostéronés, interprétés avec la férocité d'un pitbull qui n'aurait pas été vacciné contre la rage, une envie de rédemption héritée d’une vie marquée par le sceau de la violence. « All I know is pain/All I feel is rain », confesse-t-il.
Lorsqu’on regarde dans le rétro, on comprend aisément la dualité qui anime DMX, cette volonté de questionner l’intimité dans des morceaux qui, parfois, se reçoivent comme le réceptacle d’une douleur profonde. Il y a déjà son enfance : le père est absent, la mère violente (elle éclate notamment les dents de son fils alors qu’il n’a que six ans…), les fugues sont récurrentes, les séjours en foyers d’accueil également, tandis que le vol devient rapidement un moyen de survie.
Il y a ensuite ce quotidien mené en marge de la légalité, qui lui vaudra de très nombreux démêlés avec la justice : maltraitance animale, violation de liberté conditionnelle, possession illégale d’armes à feu, fraude fiscale, etc. Dans la vie de DMX, il y a surtout une sévère addiction au crack, qu’il teste dès l’adolescence sous les conseils de la personne qui l’encourage en parallèle à se lancer dans le rap.
Le rap, justement, DMX y fait son entrée en 1992 avec Born Loser, un premier single qui ne représente en aucun cas le style dont il se fera le porte-étendard, mais qui en dit long sur son amour-propre. Là où nombre de rappeurs auraient choisi de débarquer avec une tonne de rimes flambeuses, X arrache illico ce voile hypocrite en regardant au fond de lui. « Je suis né loser, non pas parce que j'ai choisi de l'être/ Mais parce que toutes les mauvaises choses m'arrivent », clame-t-il d'emblée.
Le reste de sa discographie est à l'avenant. Qu’importe qu’il raconte son enfance meurtrie (Look Thru My Eyes), appelle sa grand-mère à l’aide (Miss You) ou qu’il demande à Dieu de le libérer de ses souffrances (Angel) ; qu’importe qu’il s’abandonne à de touchantes confessions (« J’ai venu mon âme au diable et elle était bon marché ») ou se dédouble pour mieux explorer ses démons (Damien, The Omen) ; ce qui fascine, c’est son sens de la catharsis, ce ton de prêcheur et cette faculté à transformer certains de ses morceaux en véritables prières (Lord Give Me A Sign).
Dans les faits, DMX était loin d'être le rappeur le plus littéraire (selon une étude, le X est parmi les rappeurs ayant utilisé le moins d’outils de vocabulaires dans ses textes). Difficile pourtant de rester insensible face à tant de textes schizophrènes et d'aveu de faiblesses (« J'ai un bon cœur, mais ce cœur peut devenir laid »). Sa vie, en fin de compte, n'a jamais cessé de ressembler à celle qu'il dépeint dès 1998, sur Slippin’ : celle d'un homme qui touche le fond et tente de trouver la force de se relever.
La musique, à coup sûr, a su lui amener une bonne dose de réconfort : rappelons que ses trois premiers albums, sortis en 1998 et 1999 ont été certifiés platine, qu’il a écoulé plus de 30 millions de disques, qu’il a joué à Woodstock 99 devant des centaines de milliers de spectateurs ou qu'il a collaboré avec les plus grands (Eminem, Jay-Z, Method Man et 50 Cent côté rap, Swizz Beatz, Irv Gotti et Dame Grease côté production).
Paradoxalement, on peut supposer que tout cet amour le confrontait indirectement à ses propres failles. « Cela me fait presque pleurer tous les soirs parce que je ne reçois que de l'amour. C'est comme si j'emmenais tous ces gens à l'église », déclairait-il à The Source en 1999. À croire que chez DMX, le succès ou les rimes vantardes n'ont jamais réussi à masquer la solitude, l'envie de rédemption et l'aigreur qui persiste une fois les excès consommés.