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On le présente parfois comme le Bruce Springsteen russe. Après tout, Yuri Shevchuk semble en avoir la carrure, avec sa voix rauque et son songwriting sensible aux classes populaires. Mais ce serait vite oublier à quel point sa Russie natale a modelé le chanteur de 65 ans. Sur un mode plutôt conflictuel. Car sous ses airs de gentil professeur, Shevchuk est un pur rocker rebelle, combattant pour la liberté dans un pays qui semble en avoir toujours été privé. Pacifiste convaincu, il s’est directement opposé à l’invasion de l’Ukraine par Poutine le 18 mai dernier lors d’un concert dans sa ville d’Oufa. Entre deux titres, le voilà qui harangue les 8000 personnes face à lui : “la patrie, ce n’est pas le cul de Poutine qu’il faudrait lécher ; la patrie est une pauvre babooshka qui vend des patates à la gare.” avant d’ajouter : “Le peuple ukrainien se fait tuer et nos enfants meurent là-bas.”
Something that #Russia can't hide anymore!
— RussiasLies (@RussiasLies) May 21, 2022
Yuri Shevchuk (Singer of Russian Rock Band) told the Truth at #DDT concert in #Perm on 18th May. He was immediately detained after the concert.
Truth will always come out! #Russia #Ukraine #UkraineRussiaWar #RussianArmy #UkraineWar pic.twitter.com/blVHJKoSea
Une prise de risque qui lui vaut bien sûr des inimitiés. Dès la fin du concert, les services secrets l’interrogent pendant une heure. S’il repart libre, il écope tout de même d’une amende et surtout d’une interdiction de concerts pour lui et son groupe DDT. Soit pas grand chose, quand on imagine que depuis l’invasion en Ukraine toute critique de l’armée peut coûter 15 ans de prison. Ce qui sauve Shevchuk, c’est bien son immense popularité. Sa formation est l’une des plus célèbres du pays, capable de remplir des stades. Son intervention a d’ailleurs conduit à l’annulation d’un concert prévu le 10 juin à l’Otkritie Bank Arena de Moscou, pour célébrer les 40 ans de carrière de son groupe. Un concert déjà repoussé deux fois par le Covid, et désormais interdit par les autorités locales. “Le rock and roll est visiblement encore dangereux pour beaucoup de gens” conclut-il, optimiste.
C’est que Shevchuk n’a jamais cherché à bien se faire voir par ses dirigeants. Durant les années 80, sa formation n’a jamais été validée par le parti, le contraignant aux réseaux underground et clandestins. Pourtant, après la fin de l’URSS, DDT est le seul de ces groupes à accéder à une immense popularité, malgré un refus de se soumettre aux canons pop (notamment le chant en playback). Il faut dire que le chanteur est l’un des meilleurs songwriters du lot. Un talent qu’il a toujours mis au service de son pacifisme.
À la manière du leader de U2 (avec qui il a partagé la scène en 2010), on le retrouve en 1995 dans une Tchétchénie en pleine guerre avec la Russie. Là, il donne une cinquantaine de concerts, tant pour les soldats russes que les citoyens tchétchènes. Dès les années 80, il composait la chanson Ne Strelyai (“Ne Tirez Pas”) en réaction à l’intervention soviétique en Afghanistan. Un titre qu’il pourra malheureusement recycler, notamment en 2008 lors de concerts contre la guerre en Géorgie, et encore dernièrement pour l’Ukraine.
Car si le régime a changé, les méthodes sont restées les mêmes, selon lui. Dès son accession au pouvoir, Poutine ne lui inspire aucune confiance. En 2008, il participe aux “Marches de la défiance”, critiquant directement l’absence de démocratie du pays. Mais le grand public retient surtout son apparition télévisée de 2010, alors qu’il fait directement face à un Poutine alors redevenu premier ministre. Brisant tout protocole, il interpelle le dictateur sur la censure et la répression policière de son régime. De quoi définitivement l’installer comme un héros de la résistance. Avec lui, l’esprit rock conserve tout son sens. Car comme il le résume : “Le rock est la musique des gens libres. Ce n’est pas une question de politique. C’est avoir sa propre opinion et ne pas faire ce qu’on vous dit de faire”.