2022 M02 26
Certaines tendances ne traversent pas les océans, à l’image du concept d’idols. Il a été popularisé au Japon à l’orée des années 1980 par Yasushi Akimoto. Producteur, compositeur, réalisateur et écrivain, cet homme est incontournable dans son pays, et précurseur aussi. Lorsqu’il crée le Onyanko Club, un groupe de J-Pop exclusivement féminin pour lequel il écrit tous les morceaux, le succès est tel que cette mode se répand rapidement. Avec ce premier essai plus que concluant, il retente le coup en 2005, en peaufinant sa formule. Naît alors AKB48, un band de vingt filles dont la spécificité tient dans le fait que « vous pouvez les rencontrer ».
En exacerbant cette idée d’accessibilité — à la fois pour le public et les candidates —, les membres du groupe adoptent un train de vie fastidieux. Tous les jours, elles doivent se produire dans leur propre salle, un théâtre d’à peine 200 places situé au cœur du quartier de Akihabara à Tokyo — d’où le « AKB », le « 48 » vient de la boîte qui a lancé le groupe, l’Office 48. À nouveau, cette entreprise fonctionne du tonnerre : les fanatiques sont séduits par cette proximité avec leurs artistes chéries. Dans une rare interview occidentale accordée à CNN en 2012, où on lui demandait comment expliquer le succès du groupe, cet anti-philanthrope déclarait : « Les filles sont vraiment mignonnes, et ce qui attire certains, c’est qu’ils peuvent les imaginer comme leurs petites amies. […] Cette idée a vite pris et cela s’est ressenti sur le nombre de ventes. »
Avec cette cadence de concerts, les jeunes femmes ne tardent pas à être en surrégime. Pour pallier à ça, Akimoto et ses subordonnés imaginent ensemble un nouveau moyen de fonctionnement. À la façon des clubs sportifs, en cas de pépin, ils recrutent des remplaçantes pour assurer l’intendance. Pour filer cette métaphore, les chanteuses sont réparties en cinq équipes de seize membres : Team A, Team K, Team B, Team 4 et Team 8.
Afin de donner encore plus de puissance à cette idée que, chaque fille peut intégrer la troupe, le producteur lance des formations jumelles dans d’autres villes du Japon : à Nagoya (SKE48), à Osaka (NMB48), à Fukuoka (HKT48), à Niigata (NGT48) et à Setouchi (STU48). Au final, dans tout l’archipel, il y a plus de 350 artistes féminines liées à AKB48. À l’international également, comme en Indonésie, à Taipei ou même à Shanghai. Si tout fonctionne à merveille, pour la première fois, les fans grondent et expriment leur mécontentement : eux aussi veulent avoir une influence sur le choix des filles qui intègrent les rangs de AKB48.
Who's stopping AKB48 Overseas Sister Groups from doing this? pic.twitter.com/DxGH2XOw7h
— Kimi wa Fingers Crossed (@Tzuzukii) February 19, 2022
Plutôt que de subir ces vagues de frondes, Yasushi Akimoto va agir et flouter encore plus la frontière avec le sport. Comme dans le baseball, discipline reine au Japon, le producteur va créer une « Dream Team, basée sur le vote des fans ». Toujours dans l’interview de CNN, il donne même un nom à cette affaire : « les élections générales ». Pendant cet événement diffusé sur deux chaînes nationales japonaises, les spectateurs établissent le classement de leurs quatre-vingts chanteuses préférées. Petit détail supplémentaire : si vous voulez voter, savez-vous où trouver votre bulletin ? Dans le dernier disque en vente, évidemment.
En parlant de disques justement, AKB48 est devenu le premier groupe de l’archipel nippon à écouler plus d’un million d’exemplaires pour vingt singles consécutifs. Et puisqu’on évoque les chiffres, selon la société Oricon — qui fournit les statistiques de ventes —, en avril 2019, le super-groupe avait écoulé plus de 60 millions de disques, dont plus de 6 millions d’albums. Ne mo ha mo Rumor, leur 58e single, est paru le 21 septembre 2021 et comptabilise au moment où l’on écrit ces lignes, plus de 3 millions de vues sur YouTube.
Si sur leur terre ces jeunes femmes sont considérées comme des stars, certains locaux émettent tout de même quelques réserves. Dans un article de Slate datant de 2017, on apprend que le magazine Shukan Shincho a prouvé, photos à l’appui, que : « Kotaro Shiba, le bras droit d’Akimoto, était un membre du Goto-gumi, un groupe de yakuzas engagé dans le trafic d’êtres humains et la production de pédopornographie. ». Toujours sur Slate, on peut lire que « de plus en plus de journalistes reprochent surtout au système AKB48 de faire travailler jusqu’aux larmes des enfants pour des salaires de misère ».
Il y a autre chose. Pour faire partie d’AKB48, chaque jeune fille doit s’engager (officieusement) à respecter un code de conduite. Afin de laisser miroiter au public qu’elles sont accessibles, il leur est strictement interdit de se montrer aux bras d’un petit ami. Ne pas suivre cette règle archaïque engendre des conséquences, et l'une des membres du groupe en a d’ailleurs fait les frais.
Il y a quelques années, un média local a publié des clichés où l’on voyait la jeune chanteuse Minami Minegishi en train de sortir d’un appartement, à la fraîche. Visiblement, elle aurait passé la nuit là-bas, en compagnie d’un homme. Pour se faire pardonner de cet « affront », la fille de 20 ans a présenté ses excuses via une prise de parole sur YouTube. Pour appuyer son propos, elle s’est aussi… rasée la tête. En Europe, cette vidéo a fait scandale, mais pas vraiment au Japon, où elle fut vite oubliée. Finalement, Minami a été exclue du groupe principal pour un temps. Elle a par la suite regagné la formation, et sa renommée d’avant.
22.02.20 • AKB48 Team SH #AKB4ITEAMSH pic.twitter.com/N5qXw0rrhp
— tsh archive. (@tsh_archive) February 20, 2022