James Bond et la musique : 60 ans d'une mission pas si secrète que ça

Dans les films James Bond, il y a des cascades, des Aston Martin, des décors exotiques ; mais aussi des génériques chantés par des stars de la pop. Depuis plus de 60 ans, les producteurs de la saga ont peaufiné la recette. Et le vingt-cinquième film, enfin sorti après avoir été repoussé plusieurs fois, ne fait pas exception.
  • En janvier 2020 (alors que le film devait encore sortir le 3 avril cette même année), on apprenait qui serait l’interprète du générique du prochain James Bond, Mourir Peut Attendre. Et c’est Billie Eilish, auréolée du colossal succès de son premier album un an plus tôt, qui décroche cette place enviée, avec le titre No Time To Die sorti en février 2020. Et comme chaque fois depuis des dizaines d’années, cette annonce met fin à d’innombrables spéculations. Car EON Films, producteur de la saga, a bien compris comment faire de cette annonce un événement, bénéfique tant au film qu’à l’artiste choisi.

    Cette tradition remonte à 1964, avec le troisième film de la saga, Goldfinger, et son générique chanté par la Galloise Shirley Bassey. C’est ce titre qui pose les bases de ce qu’est un générique de James Bond, bien qu’il ait failli être retiré avant la sortie du film, le co-producteur Harry Saltzman le considérant comme « le pire morceau qu'il ait jamais entendu de sa vie ». Pourtant, le titre est un succès, se classant dans les têtes de ventes. Saltzman et son compère Cubby Broccoli comprennent vite qu’il y a là un coup à jouer, et décident de contacter des artistes déjà célèbres. Ils embauchent ainsi Tom Jones pour le film suivant, puis Nancy Sinatra (après que son père ait décliné la proposition) pour On Ne Vit Que Deux Fois. Après le retour de Shirley Bassey, Paul McCartney enfonce le clou en 1973 avec le classique Live And Let Die, nommé aux Oscars, et pour lequel il renoue avec George Martin.

    Après de tels succès, Saltzman et Broccoli semblent pourtant encore hésitants sur la formule à employer. Ils tentent de faire appel à une jeune inconnue, l’écossaise Lulu, pour L’homme au pistolet d’or, mais c’est un échec. Les films suivant alternent entre ballades et titres pop plus énergiques, signés Duran Duran ou A-ha (seul groupe qui ne soit ni britannique ni américain du lot). On voit alors l’envie des producteurs de coller à l’air du temps, avec des titres new wave. C’est durant cette période également que la spéculation se met en place autour du choix de l’interprète, les bookmakers y trouvant vite leur compte.

    Ainsi, à partir de 1995 et le retour de la saga après six ans d’absence, cette spéculation sera au coeur de la stratégie des producteurs. Pour Demain ne meurt jamais, surtout, ils décident d’inviter plusieurs artistes à proposer un titre en les mettant en compétition. Pulp, Saint Etienne ou les Cardigans vont participer sans succès, et c’est Sheryl Crow qui obtient la place désormais très convoitée. Bien sûr, une telle mise en compétition exacerbe l’attention du public. Durant les années suivantes, les paris ne cessent de monter. En 1999, on attend Björk, Melanie C des Spice Girls, Jamiroquai, ou Robbie Williams, mais c’est finalement le groupe Garbage qui est choisi. En 2015, pour le film Spectre, tout le monde est persuadé que Radiohead sera choisi. Un fan va jusqu’à miser 15 000 livres sur la présence du groupe. Pourtant, leur titre est refusé, jugé « trop mélancolique », et Sam Smith leur est préféré pour succéder à Adele. Avec un moins bon succès commercial, bien que les deux artistes ont remporté l’Oscar de la meilleure chanson originale.

    Au fil des ans, donc, l’attention autour du générique a petit à petit tourné à l’obsession. En parallèle, la formule s’est codifiée. Dans l’esprit du thème original, orchestré par John Barry, la chanson doit mêler grand orchestre et musique pop (dans l’esprit de la guitare surf du premier générique). Le titre doit également être dans une tonalité mineure, capter à la fois l’air du temps et l’esprit du film, mais aussi glisser des sous-entendus à son intrigue. Dans les titres les plus réussis, comme ceux de Sinatra, McCartney ou Adele, c’est l’équilibre entre pop de son époque et classicisme qui donne tout le sel au morceau. Et bien sûr, l’objectif tant des producteurs que des musiciens et d’espérer remporter un Oscar, et de se classer en tête des ventes.

    Mais au-delà de la qualité de certains titres, ce sont les fantasmes sur ce qui aurait pu arriver avec d’autres artistes qui continuent d’alimenter les passions. Cela ne date pas d’hier : dès 1965, Tom Jones a été préféré à Johnny Cash, qui a tout de même créé un morceau. De même pour Alice Cooper, Blondie, Pulp, et bien sûr Radiohead ; bien que leurs morceaux aient été écartés, ils ont participé à l’aura qui entoure désormais ces génériques. Et on peut déjà commencer à prendre les paris sur qui succédera à Billie Eilish.