2017 M11 30
Girl power. Rares, dans l’histoire de la pop culture, sont les chanteuses à avoir autant fait avancer la cause féminine et à avoir été, dans le même temps, aussi vite oubliées. Certains citeront Nina Simone, d’autres Patti Smith ou Madonna, mais la première d’entre elles à avoir véritablement libéré le corps et l’esprit de la femme, dans ce music biz très poilu et encore très macho de la fin des années 1960, c’est Betty Davis. En trois albums publiés entre 1973 et 1975, l’équivalent afro-américain de Janis Joplin va exploser tous les clichés raciaux et sexistes, raccourcir ses vêtements sous le règne du pas très funk Richard Nixon, et surtout imposer l’idée qu’une femme a le même droit à la provocation que les hommes avec qui elle couche.
Du mannequinat à la débauche. « Je n’aime pas mon métier de top model, ça ne nécessite aucun effort intellectuel, ça durera ce que ça durera. » Ça, c’est Betty Davis dans les notes de pochette de son deuxième album (« Theys say I’m different ») tentant d’expliquer son début de carrière improbable, qui l’aura vu passer par à peu près tous les métiers. À la fois mannequin, scénariste, DJ et hôtesse dans une discothèque branchée du Greenwich Village (où elle fera la connaissance de Sly Stone et Jimi Hendrix), Betty peut au départ, c’est vrai, compter sur son physique exceptionnel. Longiligne panthère noire, elle se passionne pour le théâtre, le design, la mode, la musique et découvre, alors même que les États-Unis viennent d’en finir avec la ségrégation, la chaleur des clubs underground de New York où blancs et noirs se mélangent. C’est le début d’une drôle d’histoire.
Rencontre avec Miles. C’est à cette époque, déjà bien chaude, que Betty rencontre Miles Davis. Plus tard, celui qui sera son époux pendant une très courte année dira d’elle qu’elle était « trop sauvage pour lui ». Un comble, quand on connaît la légendaire folie du musicien de jazz. Mais c’est que Betty n’est pas une « femme de », et encore moins une esclave sexuelle telle que le furent de nombreuses groupies de l’époque (demandez aux femmes des 70’s ayant croisé Led Zeppelin). « Je n’allais pas devenir une Yoko Ono ou une Linda McCartney », déclarera-t-elle plus tard. De son mariage avec Miles, Betty conservera donc le nom, mais aussi le crédit du mythique album « Bitches Brew » qu’elle aurait largement influencé de par ses idées rock et révolutionnaires. Miles rompt le mariage par jalousie (il était persuadé qu’elle le trompait avec Hendrix). Pas grave. Elle se lance en solo et publie, dans la douleur, « Betty Davis », un disque qui sent bon l’émancipation, le sexe et la pilule contraceptive. Le nom du premier titre annonce la couleur : If I’m in luck, I might get picked up. Traduction : si j’ai de la chance, je pourrais peut-être me faire sauter ce soir. L’Amérique puritaine tombe de sa chaise.
Mère de Prince et d’Erykah Badu. Sur les trois albums qu’elle publiera, Betty la tigresse distille un funk hot hot hot, aux paroles plus qu’explicites, allant jusqu’à s’attirer les foudres de groupes religieux qui réussissent à faire interdire certains de ses concerts. Censure à la radio, tollé dans les médias ; visiblement le monde n’est pas prêt pour Betty Davis. Musicalement, c’est sublime, esthétiquement, c’est décadent. Betty pose dans les tenues les plus provocantes possibles, invite la femme à être l’égal de l’homme et inspire, sans même le savoir, les futures carrières de musiciens comme Prince, Erykah Badu ou Missy Elliott.
Hélas, too much too soon pour Betty. Trop avant-gardiste, trop sauvage comme disait Miles, la chanteuse au larynx bouillonnant retournera en Pennsylvanie à la mort de son père, dans les années 1980, emportant avec elle sa furie et sa conception de l’indépendance. « Une grande partie du choc causé par Betty est lié au fait qu’il n’était pas fréquent qu’une femme joue sa propre musique de manière aussi agressive », expliquera plus tard le New York Times. C’est non seulement vrai, mais surtout regrettable. Redécouvrir ses albums 40 ans après laisse toujours la même impression de liberté démoniaque. C’est aussi comprendre à quel point les provocations de Lady Gaga, pour n’en citer qu’une, n’arrivent pas à la cheville du boulot accompli par Davis.
« Elle était juste trop hardcore quand elle a enregistré ses incroyables albums funk innovants », a récemment déclaré Peaches, pourtant pas la dernière quand il s’agit de foutre le zouk. Depuis, le temps a passé et c'est presque à se demander qui se souvient encore de son oeuvre, maintenant qu'elle est partie d'une mort naturelle, à l'âge de 76 ans. Pourtant, à relire les paroles de l’une de ses chansons, les plus célèbres, Anti love song, son féminisme résonne plus que jamais avec l’actualité. Espérons que Harvey Weinstein pourra un jour l’écouter en prison. « Non, je ne veux pas t’aimer car je sais quel genre de mec tu es c’est pour ça que je préfère rester loin de toi c’est pour ça que je ne t’ai pas rappelé parce que je sais que tu pourrais posséder mon corps »