

Bertrand Belin est-il le plus sous-estimé des chanteurs français ?
Ni inconnu ni connu, Bertrand Belin profite de sa discrétion et le voilà qui annonce son septième album, "Tambour Vision", à venir le 6 mai. De quoi réaliser à quel point le chanteur semble imperméable à tout plan de carrière ou de communication.
2022 M03 16
Il est aussi insaisissable qu’une anguille. Logique pour ce fils de pêcheurs bretons. On aurait pourtant envie de le faire tenir dans des cases : héritier de Bashung, chanteur adulé par la startup nation Inter et Télérama, faisant vivre une tradition de chansons à textes. Mais il suffit d’y regarder d’un peu plus près pour constater que Bertrand Belin est à la fois tout cela, mais jamais vraiment. Et surtout, il est plus. Musicien de blues, capable de jouer avec le groupe de garage des Limiñanas comme Vanessa Paradis, mais aussi des musiciens classiques ou de blues. Il suit ses envies en fuyant toute idée de marketing.
Son début de parcours est tristement classique : fils d’un père violent, il trouve refuge dans la musique, et surtout la guitare. Il joue au sein d’un groupe de musique de Louisiane, puis un groupe de rock anglais. Avant de sortir un premier album solo à l’âge de 35 ans. C’est que le chanteur aime prendre son temps. Sa maison de disques se rend vite compte qu’il n’est pas fait pour une carrière classique et le vire après un second disque.
Belin rejoint alors Cinq7, dont le modèle intermédiaire entre major et indépendant a déjà attiré Dominique A ou Albin de la Simone. Là, il trouve enfin son style avec l’album « Hypernuit » en 2010. Il se démarque alors d’un style chanson-blues pour aller vers un plus grand minimalisme. « J’ai alors découvert le pouvoir du silence et de l’économie, notamment en matière harmonique » raconte-t-il. Ses textes, comme sa musique se construisent par ellipses : Belin soustrait, ne veut garder que ce qui est le plus précieux. Quitte à se débarrasser de tout ce qui brille et pourrait attirer l’oreille.
Ses disques suivants se construisent dans la même veine, jusqu’au dernier en date, « Persona », sorti en 2019. Le chanteur s’est construit une équipe fidèle, avec la batteuse Tatiana Mladenovitch et le claviériste Thibaut Frisoni. Avec ceux-ci, sa musique se fait de plus en plus synthétique et pop. Une tendance confirmée par Que Dalle Tout, premier single de son album à venir, aux accents post-punk affirmés. Au point de renforcer cette sempiternelle comparaison à Bashung. Si la filiation est présente (il suffit d’écouter Belin chanter Au début c'était le début chez les Limiñanas pour saisir sa capacité à l’imiter), elle reste superficielle. On pourrait évoquer Christophe, Thiéfaine ou même Manset avec la même pertinence.
Le principal intéressé se réfère plus volontiers à des Américains comme Bill Calahan : « Je suis frappé par son utilisation du silence, de l’attente, la force que prend la manifestation d’un événement inattendu dans sa musique ». En revanche, on pourrait trouver une connexion avec Bashung dans cet équilibre entre une fascination pour le répertoire anglo-saxon, et un amour profond pour la langue. Belin maîtrise peut-être mieux encore le répertoire country-blues que son aîné, et cela infuse encore dans toute sa musique.
Dans ce style à la fois cryptique et évident, fait de silences remplis, Belin semble pris dans un entre-deux. Trop sophistiqué pour ne pas être de niche ; trop compliqué pour être un rockeur. Le soutien des médias installés lui est précieux, mais le rend suspect auprès des puristes. Qu’importe : il semble parfaitement à l’aise dans cette position, qui lui offre toute liberté créative. Celle de chanter dans un opéra de l’Anglais Gavin Bryars, de sortir des romans (chez le prestigieux éditeur P.O.L.), de faire l’acteur (comme dans la récente comédie musicale Tralala, où il se montre très convaincant).
Bertrand Belin est ainsi un chanteur à rebours de son époque. Il refuse l’omniprésence médiatique et l’hyperactivité, pour mieux se concentrer sur l’essentiel. Même les tournées semblent l’ennuyer, auxquelles ils préfèrent les concerts spéciaux, comme cette carte blanche partagée en novembre avec La Féline à l’Opéra Underground de Lyon. Cette discrétion ne s’inscrit cependant dans aucune stratégie de communication façon Daft Punk. Et cela fait du bien d’avoir un peu de simplicité.
