Aux origines de Gorillaz

  • Comment devient-on le groupe virtuel le plus célèbre de tous les temps ? Retournons les pages de cette bande dessinée à l’envers.

    Putain, 20 ans. Quiz : qui aurait cru qu’un groupe virtuel à peine plus sexy que les marionnettes du Muppet Show parviendrait à fêter ses 20 ans d’existence (en 2018) et continuerait, après 5 albums, à rester créatif malgré le succès mondial ? La réponse est toute trouvée : personne. Et surtout pas avec un nom pareil. Gorillaz, c’est donc ça : une énigme inexpliquée de la pop culture qui résiste encore et encore au temps qui passe, à tel point qu’on a tous fini par oublier comment l’histoire a commencé.

     

    Une histoire de colloc’. Pour mieux comprendre Gorillaz, il faut revenir en 1997. L’Angleterre est encore sous le traumatisme de la Britop, sur le déclin, Oasis vit sa dernière heure de gloire (« Be Here Now » vient de sortir) et Blur, l’ennemi juré des frères Gallagher, continue de cartonner avec… « Blur », cinquième album d’un groupe à qui pourtant, déjà, on ne promettait pas de durer après son hit Girls and Boys. Autant dire, qu’en 1997, Blur n’a scientifiquement aucune raison de s’éparpiller sur des projets annexes, ils sont sur le toit du monde.

    Pour le fun, et oublier la routine des longues journées promo, le guitariste Graham Coxon décide d’inviter le dessinateur Jamie Hewlett (dont il est fan) à venir interviewer le groupe pour le magazine Deadline. Hewlett et Coxon se sont déjà rencontrés en 1990, mais le dessinateur ne tient pas, jusque là, le chanteur de Blur en haute estime : « je pensais que c’était un gros branleur » dira-t-il plus tard. Ca n’empêche pas les deux, ayant rompu avec leurs copines respectives, d’emménager ensemble pour oublier leur chagrin et retrouver l’esprit de l’adolescence.

    « Nous avons signé sur la foi de deux démos et d’un dessin » (Damon Albarn)

    Pour vivre heureux, vivons cachés. A force de mater MTV comme des « gros branleurs », Jamie Hewlett et Damon Albarn finissent par avoir un flash, une sorte de révélation cathodique. « Et si on créait un « cartoon band ? » suggère Albarn. Les deux se marrent. Ce serait l’histoire d’un gang qui ferait de la musique ; Albarn composerait les morceaux sans apparaître, et Hewlett donnerait vie à quatre personnages virtuels nommés 2D, Murdoc, Russel, et Noodle. Ca les fait rire encore. Et puis en fait, les deux décident de passer à l’action. Ca s’appellera Gorillaz. « Nous avons signé sur la foi de deux démos et d’un dessin confiait récemment Albarn à Paris Match, mais c’est tout de suite devenu sérieux ». Mais sans jamais oublier la leçon apprise de groupes comme Kraftwerk, Kiss ou les Daft Punk (qui plus tard copieront Gorillaz avec Interstella 555) : rien de mieux, pour durer, que de cacher son visage.

    Une blague à 7 millions de copies. Si tout a débuté comme une blague, les chiffres, eux, ne font plus rire personne. Après 5 albums, dont le récent « Humanz », ce projet post-ado s’est déjà écoulé à plus de 7 millions de copies ; prouvant ainsi qu’il y avait bien un créneau pour une pop intelligente, à la fois capable de pondre des tubes (Feel Good Inc., Clint Eastwood, We Got the power, etc) sans jamais tomber dans la facilité, d’inviter la planète entière (De La Soul, Bobby Womack, Lou Reed) et même de faire la courte échelle à des petits qui montent (Benjamin Clémentine et Little Simz récemment). En devenant ce groupe à géométrie variable où visuels et mélodies fusionnent, Gorillaz s’assure peut-être même sans le savoir une carrière. Mais, pour le coup, sans pression. La force du groupe depuis ses débuts.

    Virtuel mais engagé. Rester cachés derrière le rideau n’a jamais empêché Albarn et Hewlett de faire passer leurs idées, et pas les plus roses. A des années lumière d’autres chanteurs obligés de pleurer en chanson pour parler du Brexit, eux ont fait le choix de rester un cartoon, dans ce que cela a de plus vicieux. « Après le succès du premier disque » se souvient Jamie Hewlett, « nous n’étions pas sûrs de devoir en faire un deuxième. Puis le 11 septembre est arrivé. ». En réaction, Albarn compose 911, et propulse ainsi une blague dans le monde réel. A partir de là, plus rien ne sera pareil, et tant pis les fans, obnubilés par les refrains diaboliques, ne saisissent pas tout des « concepts albums ».

    Toujours à la marge. « Demon Days », publié en 2005 ? Un pamphlet contre la politique étrangère du Royaume-Uni et son soutien à George W. Bush pour son intervention en Irak. « Plastic Beach, paru 5 ans plus tard ? Un manifeste écolo critiquant ouvertement la consommation de masse et les pollutions du quotidien. Quant au dernier né, « Humanz », il tacle la robotisation actuelle du monde, et le danger que cela représente pour notre humanité.

    En attendant la fin du monde (ou de Gorillaz), les deux continuent, à plus de 50 ans, de rester jeunes. Hewlett a récemment publié une rétrospective de son travail graphique chez Taschen, et Albarn pourrait réactiver son autre projet (The Good, the Bad & the Queen) puis enchainer avec une comédie musicale au Théatre du Chatelet, à Paris (en 2019). Gorillaz est actuellement sur la route ; quant à Blur, le groupe par lequel tout commença, son futur est à l’image du nom du groupe : tout brouillé.

    Rendez-vous sur Canal + le 27 novembre pour la rediffusion du concert au Zénith, à Paris.

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