2020 M05 25
. Peu après la sortie de « The Slim Shady LP », Eminem et ses potes filent à Amsterdam. Au programme : défonce, coffee shop, virées en boîtes et défonce, encore et toujours. Si bien que le rappeur de Détroit songeait dans un premier temps à nommer son troisième album du nom de la capitale néerlandaise.
. Le choix de la pochette n'est pas anodin, il s'agit de la maison d'enfance d'Eminem, située au 19946 Dresden Street à Détroit et détruite en novembre 2013, quelques semaines à peine après que le rappeur a de nouveau utilisé cet bâtisse sur la pochette de « The Marshall Mathers LP 2 ». « J'avais des sentiments mitigés, expliquait-il à VH1, parce que j'avais beaucoup de bons et de mauvais souvenirs dans cette maison. Mais retourner là où j'ai grandi et dire enfin : “J'ai réussi”, c’était pour moi le meilleur sentiment du monde. »
. Dans une interview, Eminem a tenu à préciser que le texte de Stan était plus long à l'origine. Dans les couplets supprimés, on apprenait que le fan obsessionnel avait survécu au crash, s'était rendu chez son idole pour la tuer avant qu'Eminem ne prenne les devants et règle cette histoire sordide à coups de balles dans la tête.
. En 2000, de nombreuses personnes se sont attardées sur le contenu des paroles : des militantes féministes, des homosexuels, des associations de parents d'élèves, des adeptes de la religion et même le Sénat américain qui accuse Eminem de « prôner le meurtre et le viol ».
. Suite aux propos homophobes tenus sur « The Marshall Mathers LP », les Pet Shop Boys, accompagnés de Johnny Marr, imaginent un coup d'un soir entre le rappeur et un étudiant sur The Night I Fell In Love : « Il a dit que nous pourrions être des amants secrets, juste lui et moi / Puis il a plaisanté : Hey mec ! / Ton nom n'est pas Stan, n'est-ce pas ? »
. Sur Kim, la première chanson écrite pour ce troisième album, les Bass Brothers, duo de beatmakers évoluant dans le sillage d'Eminem depuis « Infinite » en 1996, puisent leur sève chez Led Zeppelin. Et plus particulièrement la fameuse partie de batterie de When The Levee Breaks, qu'ils samplent avec talent.
. Il faut savoir qu'il existe une version clean de « The Marshall Mathers LP », au sein de laquelle ne figure pas Kim, où Eminem met en scène le meurtre de sa femme. À la place, on trouve The Kids, une chanson inspirée de South Park et censée mettre en garde les gamins contre les dangers de la drogue. On a bien dit « censée » : « Ne prenez pas de drogues, comme ça j'en aurai plus pour moi. »
. Sur 18 morceaux, Eminem raconte le meurtre de douze personnes différentes. Bon, onze en réalité, Dr. Dre étant assassiné à deux reprises.
. S'il aime verser dans le lugubre, Eminem est également capable de fulgurance. Comme sur Remember Me : « Sick, sick dreams / of picnic scenes / Two kids, sixteen / with M-16’s / and ten clips each / And them shits reach / through six kids each / And Slim gets blamed in Bill Clint’s speech to fix these streets?! » En huit mesures, il revient sur le massacre de Columbine, tisse des liens entre ces attentats et le rôle des artistes, évoque l'incapacité de Bill Clinton à diriger les États-Unis et fait tout cela en multipliant les assonances et en agençant des phrases de trois ou quatre mots à peine.
. À ceux qui résument ses textes à un déluge de vulgarité et de récits glauques, Eminem sait répondre. Sur The Way I Am, il dit : « Quand un gars se fait harceler et qu’il tire dans son école / Ils accusent Marilyn [Manson, ndrl] et l’héroïne / Mais où sont les parents ? »
. On le sait peu, mais le fameux Steve Berman, qui donne son nom à un interlude de « The Marshall Mathers LP », est bel et bien réel. À l'époque, le bonhomme est chargé des ventes et du marketing chez Interscope Records, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne croit pas vraiment au potentiel de son artiste. « Je ne peux pas vendre cette merde », peut-on l’entendre dire, choqué par les propos homophobes qu’il vient d’entendre.
. L'autre interlude, Paul (Skit), est dédié à Paul Rosenberg, son manager, à qui Eminem offre son Grammy Award.
. S'il nourrit un dégoût profond pour le monde alentour, Eminem est un être humain comme les autres. Il fantasme sur les célébrités. À commencer par Jennifer Lopez : « Même si cette meuf était ma propre mère / Je la baiserais quand même sans capote et je giclerais en elle / Et j’aurais un fils et un nouveau frère en même temps / Et je dirais juste qu’il n’est pas de moi. » Eminem a sa façon de penser, vous avez la vôtre.
. À la base, The Way I Am et The Real Slim Shady, pourtant deux singles plébiscités par le public et la critique, ne figuraient pas sur « The Marshall Mathers LP ». C'est Interscope, inquiet de ne pas pouvoir s'appuyer sur des tubes pour promouvoir l'album, qui demande à Eminem de retourner en studio et d'enregistrer un morceau dans l'esprit de My Name Is. La suite, on la connaît.
. Il y a le clip de The Way I Am, où Marilyn Manson fait une apparition. Mais il y a surtout ce remix, où le rockeur semble tout heureux de s'associer à un artiste qui, comme lui, est accusé de produire « une musique qui glorifie la violence ».
. À sa sortie, « The Marshall Mathers LP » s'écoule à près d'1,8 millions d'exemplaires en une semaine. Un record à l'époque, en même temps que le signe d'un enthousiasme toujours plus prononcé quant à la musique d'Eminem. Les 25 millions de disques vendus depuis en attestent.
. Quelques mois après la sortie de « The Marshall Mathers LP », Eminem se produit dans le cadre des MTV Music Awards et dézingue à tout-va. Ses cibles ? Les artistes présents dans l'assemblée. « Vous voulez que je m’assois à côté de Britney Spears ? / Putain, Christina Aguilera ferait mieux d’échanger de place à avec moi / Pour que je puisse m’asseoir entre Carson Daly [le présentateur, ndlr] et Fred Durst [leader de Limp Bizkit, ndlr] / Et les écouter se disputer pour savoir lequel elle a sucé en premier. »
. Entre deux coups de colère, rappelons qu'Eminem est également capable de rendre hommage à ses idoles. À sa manière, bien sûr, qui consiste à pisser sans vergogne sur la concurrence : « Ça me fait chier parce que Biggie et 2Pac ratent tout ça / Regardant toutes ces pauvres imitations se faisant du fric sur leur dos / Et gagner des dollars qui auraient dû être les leurs / Comme s'is avaient échangés leurs portefeuilles. »
. Le rappeur de Détroit se contrefiche tellement de ses pairs, ou de toutes ces personnalités dites « influentes », qu'il finit par porter plainte contre Facebook pour l'utilisation d'Under The Influence dans le cadre d'une publicité. À vrai dire, ce qui interpelle, ce sont moins les 150 000 dollars qu'il réclame à la société de Mark Zuckerberg, pourtant inconditionnel de sa discographique, que la volonté du réseau social de s'accaparer un morceau qui parle de drogues et du fait de découper des corps en morceaux pour les foutre « dans un sac poubelle ». À noter qu'Eminem a lui aussi été envoyé devant les tribunaux pour avoir utilisé sans autorisation Pulsion du pianiste français Jacques Loussier sur Kill You : le conflit a depuis été réglé à l'amiable.
. L'influence de « The Marshall Mathers LP » est énorme, et s'entend chez Kendrick Lamar (qui avoué que ce disque avait changé sa vie), chez XXXTentacion (pour cette façon d'avoir besoin de semer le chaos autour de soi pour exister), Suicideboys, Mac Miller ou même chez Tyler, The Creator, qui profite de Yonkers pour clasher les rockstars, moquer les rappeurs, s'amuser des psychologues ou de Jésus ou mentionner les fusillades dans les écoles.