Qui était Wilko Johnson, le guitariste qui a influencé les Pistols, les Ramones et Blondie ?

Le Britannique, qui a secoué le rock avec son groupe Dr. Feelgood dans les années 1970, puis plus tard avec Ian Dury & The Blockheads, est décédé le 21 novembre à l’âge de 75 ans. Son jeu de guitare aura au final influencé toute la scène punk. Portrait.
  • Ce n’est jamais évident de retracer la carrière d’un musicien, surtout celle Wilko Johnson. L’Anglais n’est pas l’artiste le plus connu, ni celui qu’on place automatiquement dans le panthéon du rock. Pourtant, il fait partie des précurseurs. Ceux qui ont ouvert la voie — comme un certain Howard Devoto par exemple avec Magazine, autre figure du proto-punk anglais — afin de faire évoluer le rock’n’roll dans d’autres directions. Bref, Wilko Johnson, ce n’est pas Jimmy Page ni Kurt Cobain. Mais le bonhomme au regard noir a marqué son époque. Et ceux qui connaissent bien l’histoire du pub rock et du punk savent très bien le rôle immense qu’il a joué.

    Peter Wilkinson est né en 1947 dans une station balnéaire morbide du sud de l’Angleterre, à Southend. À la maison, ce n’est pas tous les jours la joie. Le daron picole sec. Il est violent. Le jeune homme trouve refuge dans le rock et le rhythm and blues. Il file ensuite à l’université, à Newcastle, pour étudier la littérature. Mais sa vraie passion, c’est de jouer dans les pubs et les clubs. En 1971, avec John Martin qu’il a rencontré six ans plus tôt, il fonde le groupe Dr. Feelgood. Bowie est en place. T. Rex aussi. Le prog-rock de Yes ou Soft Machine passe en boucle à la radio. Peter déteste ce genre. Avec sa formation, Wilko veut revenir aux bases du rock. Il veut jouer vite, il veut jouer fort. Il veut mitrailler, comme s’il tenait dans ses mains une arme à feu et non une guitare. Ce sont les débuts d’un courant musical qu’on appellera le pub rock. Et Dr. Feelgood, avec d’autres formations comme Ducks Deluxe ou Rockpile, en seront les promoteurs à travers les pays. Costumes noirs, cravates noires et chemises blanches de rigueur. 

    À partir de 1973, le groupe, qui joue dans les clubs et les pubs de Londres et ses alentours, commence à se faire un nom. Sur scène, les regards sont tournés vers Wilko, mi-psychopathe mi-magicien fou, qui hypnotise. Un label — la filiale britannique de United — repère la formation. Elle file en studio et enregistre en live (et en mono) les chansons de « Down by the Jetty », son premier album sorti en 1975. Tout est là : la frénésie, l’urgence, la vitalité, l’harmonica démoniaque et les riffs de feux.

    Les Anglais ne chôment pas : la même année, ils sortent « Malpractice », un deuxième service tout aussi remuant. Back in The Night (écrit avec Nick Lowe) est un tube, comme Going Back Home. Dès le mois de mai 1977, alors que l’album « Sneakin’ Suspicion » est sur le point de sortir, Wilko claque la porte. C’est (déjà) la fin de Dr. Feelgood. Mais ce n’est pas la fin du rock pour l’Anglais, loin de là. 

    Il fonde en 1977 un nouveau groupe baptisé Solid Senders. Le premier (et unique) album arrive dans les bacs l’année d’après. C’est pas mal. Mais pas assez pour continuer. Wilko raccroche les gants et considère un instant de quitter la vie de rockeur, à 30 ans. Mais il reçoit quelques mois plus tard un coup de fil de la part de Davey Payne and Ian Dury (Ian Dury & The Blockheads). Le guitariste rejoint la bande et participe à l’album « Laughter » sorti en 1980. Il se lie d’amitié avec Norman Watt-Roy, le bassiste du groupe et sort dans la foulée son premier album solo « Ice On the Motorway ». De là, un nouveau groupe émerge (The Wilko Johnson Band) et Wilko continue de tourner et d’enregistrer des albums qui n’auront pas le même impact que ses années Dr. Feelgood — la traversée des années 80 et 90 pour de nombreux musiciens seventies a été compliquée. Wilko, bête de scène et passionné par le rock, tient bon. Mais sans manager et toujours un peu à l’arrache, cette partie de sa carrière n’est pas la plus réussie.

    Fatalement, il arrive un moment où l’envie n’y est plus vraiment (sauf quand on s’appelle Keith Richards). Après le décès de sa femme en 2004, le guitariste se fait plus discret et plonge tête baissée dans une autre passion aux antipodes du rock et de da fureur : l’astronomie. 

    La présence scénique et son jeu de guitare (souvent sans médiator) ont marqué les esprits. De Paul Weller (The Jam), de Suggs (Madness), de Joe Strummer (The Clash), de Johnny Ramone, d’Andy Gill (Gang of Four), de Richard Hell ou encore de Clem Burke (Blondie). Même de Johnny Rotten, futur Sex Pistols. Soit tout un tas de musiciens affiliés à la vague punk et punk-rock de la fin des seventies qui vont s’inspirer de Wilko pour finir par s’approprier son style. Et tous citent le guitariste comme une grande influence. Joe Strummer a dit en interview : « Dr. Feelgood a été le premier groupe à décaper la musique d’une façon punk ». 

    Les plus jeunes connaissent Wiko Johnson pour tout autre chose. L’Anglais a joué le personnage de Ser Ilyn Payne dans la série Games of Thrones, en 2011 puis en 2012. La même année, mauvaise nouvelle : on lui diagnostique un cancer du pancréas en phase terminale. Les toubibs ne lui donnent pas un an. Mais lui ne compte pas abdiquer si facilement. Il part en studio avec Roger Daltrey (The Who) pour mettre en boite l'album « Going Back Home ». Après une opération en 2014, il est guéri, miraculeusement. Il reprend alors les routes du rock et des tournées. Et aussi des studios. Son tout dernier concert remonte à peu. C’était à Londres, le 18 octobre 2022. Jusqu’au bout, Wilko aura vécu pour une chose : faire vivre le rock, dans sa forme la plus simple mais aussi la plus belle. Et il laisse derrière lui des centaines de lettres d’amour à écouter comme des testaments puissants d'une dévotion quasi totale. 

    Crédit photo Une : Flickr Haydn.

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