2022 M03 4
À l'inverse d'Alpha Wann, Dinos ou Laylow, qui ont pris leur temps avant de publier leur premier album, rencontrant un succès plus ou moins tardif, d'autres rappeurs paraissent avoir le destin de leur côté. Ainsi de ZKR qui, avec « Dans les mains », sorti en fin d’année dernière, semble avoir touché illico le cœur d’un large public. Un exemple ? On en a même deux : outre les 75 000 exemplaires écoulés de son premier album, le Nordiste a surtout eu les honneurs de Nessbeal. Lequel, après au moins sept sept ans d’absence, a choisi d’effectuer son grand retour à ses côtés : c’était pour Le Dem, et ça venait souligner son amour pour le kickage, sa science dans les placements de rimes.
C’est ce qu’il y a de plus de fou dans le succès de ZKR : celui-ci ne dépend pas d’un single, d’un tube ensoleillé ou d’un morceau chantonné dans l’idée de faire fondre les cœurs. Produite par DJ Bellek, la musique du Roubaisien est moins attirée par l'originalité que par un univers foncièrement connecté à la rue, percuté par une écriture immersive, ancrée dans le réel et riche en sous-entendus. Sur « Caméléon », par exemple, ZKR raconte les amitiés nocives (À moitié), la peur de perdre ses valeurs (Si tu voulais), les conneries de l'adolescence, les requins de l’industrie (Pinocchio) et même, en un sens, son amour pour la France (« Et quand j’vois comment c’est dur ailleurs, je comprends pourquoi la douce France »). Ce qui, au passage, en dit long sur la plume de ZKR, très à l'aise lorsqu'il s'agit de mettre en son une réflexion à même de contrebalancer un propos.
« J’écris car dans la vie j’suis pas très loquace », rappe-t-il sur Focus, le temps d’un guitare-voix du plus bel effet. Tant mieux : c’est l’occasion pour nous de tendre l’oreille à des morceaux narratifs, mis en forme par un artiste biberonné aux freestyles (certaines de ses performances dépassent les 40 millions de vues sur YouTube...) et au boom-bap. Indirectement, ZKR prouve ainsi deux choses : le retour en force de la forme rappée, selon une formule musicale bien connue des amateurs de rap 90’s (un piano, un beat, un flow) et la bonne santé de la scène du Nord, où se côtoient amoureux de la rime (Bekar, BEN plg, Eesah Yasuke), beatmakers courtisés par les plus grands (Riley Beatz) et pianiste sursollicité (Sofiane Pamart).
Avec « Caméléon », enregistré dans la foulée de « Dans les mains », au point de rejouer sans cesse les mêmes airs mélancoliques, ZKR s'inscrit donc dans ce double héritage. Sans jamais omettre ce qui fait sa singularité : cette volonté de raconter la Zone ouvrière, de narrer le fatalisme propre à ces régions (« À Roubaix, y'a pas de mains tendus, y'a que des poings fermés ») et de représenter sa métropole, où les classes populaires débordent de fierté, où les briques rouges accueillent toutes les peines, où « les mecs biens sont remplis de défauts ». On le sent, ZKR a l’envie par instants d’aller vers des sonorités plus dansantes, plus légères (Señora), mais c'est bien lorsqu’il se fait l’écho de ces endroits délabrés, « où y’a rien à célébrer », que le rappeur emporte l’adhésion.