2020 M06 24
Le couronnement récent des rappeurs a beaucoup de qualités, mais aussi le défaut de laisser croire que ceux-ci sont les seuls maîtres à bord. C’est évidemment faux. Avec un genre aussi prolixe et curieux de tout que le rap français, la plongée dans les coulisses s’avère même plutôt gratifiante. Prenons The Hop, par exemple : depuis la fin des années 2000, ce trio parisien, proche de 1995 et L’Entourage, construit patiemment une discographie d’une rare orfèvrerie, avec une préférence marquée pour les objets sonores classieux ; ce dont l’auditeur avide de sophistications et d’horizons neufs ne peut que se réjouir.
Ces dernières années, on a ainsi vu The Hop sur scène aux côtés de quelques artistes de renom (Nekfeu, Mac Tyer, Bonnie Banane), en studio avec Jazzy Bazz ou Sabrina Bellaouel, ou encore en sessions aux côtés de quelques jolis noms du rap français (Oxmo Puccino, S.Pri Noir, Deen Burdigo) dans le cadre d’une soirée organisée par Red Bull en 2016.
L’événement a valeur de déclic ! Dans la foulée, le trio convie une partie des artistes en studio et met au point à leurs côtés « 220 », un premier album au casting séduisant : Oxmo, Krisy, Bonnie Banane, Gracy Hopkins, Jok’Air et Jazzy Bazz.
La présence de ce dernier sur trois morceaux est peut-être ce que « 220 » a de plus beau. Parce qu’il prolonge le travail entamé sur son dernier album solo (« Nuit »). Parce que son énergie et ses rimes multi-syllabiques viennent servir de contrepoids aux chants plus aériens et vaporeux des autres invités. Et parce que Dunes, Berline noire et La prochaine fois font partie des temps forts de ce premier long-format, ponctués par des punchlines (« J'lui ai fait l'cuni du siècle, elle monte au sommet comme le funiculaire ») qui en résument parfaitement l’atmosphère sensuelle, presque charnelle par instant.
« 220 » n'en reste pas moins un disque de The Hop, dont les obsessions stylistiques impactent chaque note. Tour à tour compositeur, arrangeur et chef d’orchestre de cette formidable troupe, le trio enchaine ainsi les costumes avec la même aisance que BadBadNotGood et Free Nationals, à qui on les compare souvent, ne serait-ce que pour cette volonté de rester étranger à tout genre institué, à équidistance entre l'amour de la note bleue, un hip-hop suave et un R&B chaleureux.
Il suffit en effet de porter une oreille attentive aux douze morceaux réunis ici pour comprendre que Dani Lascar, The Polywog et Tony refusent de s'inscrire dans un genre ou dans l'autre, préférant se jouer de sentiments contraires (l'amour passionné sur Toujours sur la même histoire, les peines de cœur sur Hein ?) et mettre en place une instrumentation cinématographique, tournée dans le même temps vers l'intime et l'universel, la richesse d'arrangements raffinés et la beauté simple de compositions soyeuses.
Pour un résultat qui prouve qu'il est parfois bon de faire preuve de patience, de supporter l’ingratitude décourageante de l'anonymat, les efforts sans récompense, pour prendre le temps de peaufiner un style qui, aujourd'hui, séduit de bout en bout. Et élargit encore davantage les champs d'expression du rap, du R&B et, pourquoi pas, du jazz.
Crédits photo : Dijor Smith.