2022 M11 14
C’est le risque et le drame de tout artiste dans la situation de Redcar, qui réussit à percer et catalyse l’attention à chaque sortie : être observé sans être considéré, connu sans être totalement vu, jugé sans être réellement compris. À chacune de ses sorties extra-musicales (types sa présence au Burger Quiz ou, plus récemment, ses performances théâtrales publiées sur ses réseaux), on connait ainsi pas mal de gens qui rêveraient de se planter des fourchettes rouillées dans les oreilles plutôt que de l'écouter. On l'avoue, on les comprend.
Fort heureusement, Redcar est un artiste : ce qui compte, au fond, c'est sa musique. Rien d'autre. Sur la forme, on est donc ravi de le voir s'offrir ici une échappée belle : délivré des stéréotypes (bien que Rien dire s’inscrive dans la droite lignée de « Chaleur humaine », comme s’il fallait tout de même satisfaire son cœur de cible), probablement certain de ne pas avoir d'équivalent au sein de la scène musicale actuelle, Héloïse Letissier assume ses ambitions avec ce disque enregistré en deux semaines mais pensé comme un hommage à sa mère en même temps que « le début d'un grand geste narratif baroque, le prologue d'un opéra en plusieurs actes... ».
Sur « Les adorables étoiles », Redcar a trouvé en Mike Dean (Kanye West, Lana Del Rey, Travis Scott) le complice idéal : un vrai alter-ego, un producteur suffisamment expérimenté pour l'encourager à oser, sinon un ton inédit, du moins un son réfractaire aux catégories hâtives. À l'écoute de Ma bien aimée bye bye, Combien de temps (construit autour d’un sample de No G.D.M. de Gina X Performance) ou Je te vois enfin, il est bien évidemment possible de penser à Christophe (encore et toujours !), Balavoine, Roxy Music, Prince, voire même à toute une scène new wave débarquée des années 1980.
Le problème, c'est que, chez ces artistes, le risque n'était pas forcément calculé : c'était une nécessité créative, presque une obligation de révolution permanente. À l'inverse, « Les adorables étoiles » (et Redcar de manière générale) tombe trop souvent dans l'exercice de style, la démonstration et les manières épuisantes d'un artiste qui a un peu trop tendance à forcer le trait. Tu sais ce qu’il me faut, par exemple, est chargé de superflu et donne l’impression d’entendre un titre que Nina Hagen aurait refusé sur une face B.
Passées ces réserves, « Les adorables étoiles » a malgré tout le mérite de raconter des histoires (d'amour et de deuil, croit-on) et des bouts de vie, mais aussi de créer un univers fait de nappes de synthés, de paroles noyées, de chuchotements et de textures aériennes. Autant dire que les interventions médiatiques de Redcar, souvent énervantes, sont une raison un peu sévère de bouder ce troisième album, certes déconcertant, mais rempli de nuances.
Il est l’œuvre d’un artiste insaisissable en studio comme en dehors, à la fois sympathique et énervant, pétri de talent et frustrant : n'est-ce pas justement ce mélange de dualité et de complexité qui fait de lui une source de plaisir ?