Que vaut "The Ballad Of Darren", le nouvel album de Blur ?

« The Ballad Of Darren », c’est Blur comme on l’aime. Avec un peu plus d’artistes, certes, mais avec le même amour pour les mélodies pop et sans aucune autre intention que de faire de la musique entre potes.
  • À force de répéter partout que « The Ballad Of Darren » avait été enregistré dans le même état d'esprit que celui qui animait Blur au début des années 1990, Damon Albarn prenait un risque. Fallait-il s'attendre à un disque sans surprises, dans la droite lignée de « Modern Life Is Rubbish », sorti en 1993 ? Devait-on s'inquiéter de la créativité de ce neuvième album, visiblement tourné vers le passé ? Est-ce là l'ultime sortie discographique d’une bande de potes qui a décidé de ressortir quelques idées des fonds de tiroirs (rappelons que The Ballad est tiré d’une vieille démo publiée en 2003 dans le double EP « Democrazy ») ?

    Placé en troisième position au tracklisting, Barbaric n’est pas vraiment là pour rassurer : « Nous avons perdu le sentiment que nous pensions ne jamais perdre/Maintenant où allons-nous ? », chante Damon Albarn, sur un ton mélancolique. Sauf que « The Ballad Of Darren » est moins l’album d’un groupe qui craint le futur que l’œuvre d’un quatuor sûr de ses forces, fier d’avoir renoué avec la spontanéité et le souffle de ses jeunes années. 

    Écrit sur la route, lors d'une tournée de Gorillaz datée de 2022, « The Ballad Of Darren » porte finalement bien son nom. Ce n'est pas là l'errance d'un Jack Kerouac, pleine de souffle, de sexe et de trips enfumés, mais tout de même : on y ressent l'atmosphère de ces nuits dans des chambres d'hôtels, ces réflexions qui naissent lorsqu'on est loin de chez soi (« St Charles square is a place where the ghosts of monsters can be found », sur St. Charles Square), ces étranges moments de connexion avec quelques figures locales (The Everglades (For Leonard) a été écrite à Montréal, dans une salle où trainait le portrait de Leonard Cohen sur le mur), cette envie de se déconnecter de tout afin de profiter pleinement de l’instant (Russian Strings).

    Cette balade pourrait donc tout aussi bien être celle de Damon Albarn, mais l'intéressé dit que ça aurait été trop restrictif, trop autobiographique. Après tout, il a ses albums solos pour ça. Là, il s'agissait plus volontiers de s'approprier un prénom générique (Darren était l'un de ceux les plus utilisés en Grande Bretagne pour nommer un nouveau-né dans les années 1960), de tendre vers quelque chose de plus social, comme à la grande époque de la Britpop, et de créer une œuvre cohérente en seulement dix morceaux - sur les 22 proposés par Damon Albarn au reste de la bande.

    Pour assembler toutes ces idées, Blur s’est également rapproché d’un nouveau producteur. Exit Stephen Street, place à l’omniprésent James Ford, avec qui Damon Albarn a l’habitude de travailler sur les derniers albums de Gorillaz. On n’ira pas jusqu’à dire que l’on ressent sa patte, mais force est de constater qu’il se dégage de « The Ballad Of Darren » une certaine clarté, une évidence pop qui pouvait faire défaut à « The Magic Whip » (2015). 

    Sans verser dans le jeunisme ni faire commerce de la nostalgie, Blur parvient ainsi à agencer une œuvre épaisse de A à Z, témoignant d’une certaine cohérence jusque dans chaque couche de son. On est ainsi frappé par la précision et la beauté de The Ballad, le plaisir sans cesse renouvelé de l’écoute de The Narcissist (sorti en éclaireur en mai dernier), le côté crooner à la Scott Walker de Damon Albarn, la finesse des arrangements de Goodbye Albert, etc. Autant de réussites qui effacent illico toutes les mauvaises questions que l’on pouvait naïvement se poser avant de tendre une oreille à ce « The Ballad Of Darren » gracieux, joliment orchestré, que l'on serait tenté de résumer d'après une expression typiquement anglaise : « a modern classic ».

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