2022 M09 16
« J'ai raconté ma vie, un peu sur le premier, beaucoup plus sur le deuxième. Et puis là, j'avais carrément plus rien à raconter, donc il fallait que je trouve autre chose. ». Au micro de France Inter, Lomepal raconte en quelques mots les contours de « Mauvais Ordre », un troisième album plus fictionnel où le rappeur français opère des changements. Des changements dans la manière d’écrire. Dans les thèmes abordés. Dans les influences musicales. Et plus globalement dans la façon de penser, réaliser et enregistrer un disque. « Je me suis rendu compte que ce qui me plaisait, c’était d’avoir une approche plus fictionnelle, mais dans laquelle je nourrissais mon personnage avec des émotions que je connaissais. Et finalement, je me transporte dans ce personnage, en racontant des histoires qui ne sont pas forcément les miennes d’aujourd’hui », expose Lomepal dans une interview accordée au journal La Provence.
Si ce n’est pas vraiment Lomepal qui écrit, qui est-ce ? L’exercice qui consiste à piocher dans sa vie pour alimenter un personnage, et donc à brouiller les frontières entre le réel et la fiction, est périlleux.
Ce disque, qui sort le 16 septembre, débarque après presque trois années de transition pour Lomepal. Fin 2019, il décide de quitter les réseaux sociaux et de se mettre au vert pour éviter le burn-out. « J'prends plus d'appels, je lis plus aucun message », il dit sur Tee, le premier single. Antoine Valentinelli s’éloigne aussi des « mauvais côtés de la célébrité » (sic) et tente de démêler tout ce qui se passe dans sa tête. Une reconfiguration en profondeur pour retrouver le souffle créatif — Antoine se met au solfège, au piano et à la guitare —, une remise en question sur le sens de sa vie et son métier — « qu’est-ce que je vais raconter ? » — et une nouvelle page à écrire en laissant au placard les baskets du rap pour enfiler un perfecto. Exit aussi les featurings, l’autotune et les sons formatés pour la radio.
Pour changer d’ambiance, Lomepal s’est entouré de quatre musiciens : Pierrick Devin (qui est aussi son producteur), Louis-Gabriel Gonzales, Aymeric Westrich et Guillaume Ferran. Ça lui donne un nouvel élan, mais aussi une nouvelle dynamique de groupe pour créer un son « live » plus brut, plus rock. Voire même punk sur scène. Les années soixante deviennent sa source d’inspiration. Les Beatles, le Velvet, Hendrix et Bowie sa nouvelle bible. Lomepal fait un saut dans le passé pour tracer les contours de son futur. « C’est une époque que je n’ai pas connue. J’idéalise quelque chose. Je lisais beaucoup d’interviews, des Beatles notamment. Ça m’animait. C’est ça qui m’a donné envie de faire ce disque, le désir d’aller explorer cette matière vivante », a confié le Parisien au journal La Provence.
Les instruments prennent une place de choix. La batterie est laissée telle qu’elle sonne, les basses sont souvent menaçantes, sa voix est plus brute et les riffs de guitare jalonnent le disque, que ce soit sur les deux premiers singles de l’album — Tee et Auburn — mais également sur le frénétique 50°, autre moment très très fort de « Mauvais Ordre », produit en collaboration avec le Belge JeanJass et Mohave. Si Lomepal pousse le chant sur certains titres dans une ambiance acoustique — notamment sur Maladie Moderne et Crystal, deux titres dispensables —, sa manière de poser reste ancrée dans le hip hop, avec un phrasé entre la nonchalance et le placement à la virgule près, maîtrisé et pensé pour atteindre sa cible avec précision.
Lomepal affirme que cet album est autant rap que rock. C’est flagrant sur Crystal, avec un refrain chanté maladroit, des couplets rap et une guitare funk à la fin qui sonne comme Nile Rodgers sous Imovane. Ce méli-mélo musical fonctionne sur plusieurs chansons de « Mauvais Ordre », comme Tee, 50°, Auburn, Etna ou Prends Ce Que Tu Veux Chez Moi. Ce sont les moments où l’harmonie et le bon dosage entre les styles forment un ensemble cohérent et audacieux. Mais cette fusion amène aussi un déséquilibre (Hasarder, Crystal, Maladie Moderne), comme si Lomepal essayait sans réussir d’être à l’aise dans un environnement trop hostile pour lui.
Sur la forme, okay, il y a du biscuit. Les sonorités de cet album sentent à certains moments le cuir et les pédales de guitare. Mais dans le fond, Lomepal fait du Lomepal : il déballe ses états d’âmes, ses peurs, ses envies de casser des dents, ses moments de bonheur, ses aphorismes et ses réflexions avec sincérité. Avec naïveté. Avec instinctivité. Avec sa manière particulière de poser, et de décrire en détail la scène et le décor qui entoure sa chanson.
« Mauvais Ordre », c’est donc la fin d’une transition. Le début d’une nouvelle ère. Et un troisième album qui jette un rapide coup d’œil dans le rétro mais qui roule surtout vers un nouveau monde. Un monde où Lomepal s’affirme de plus en plus comme un artiste que l’on ne pourra plus jamais enfermer dans une case trop petite pour lui.
Crédit photo une : © Manu Fauque