2022 M07 15
Moins performer que Tyler, The Creator, plus lumineux qu'Earl Sweatshirt, Steve Lacy réussit également l'exploit d'être encore plus discret que Frank Ocean. L'Américain n'en reste pas moins un énième joyau sorti de la galaxie Odd Future : ces adolescents agités apparus à la fin des années 2000 et qui, depuis, se sont divisés pour mieux traduire leur vision créative dans des morceaux qui savent ce qu’ils doivent au passé. Sans jamais laisser la fibre nostalgique dominer : à l’écoute de leurs albums, on pourrait même dire qu’il s’agit à l’inverse de créer une nouvelle matière sonore, à la fois familière et incroyablement moderne.
Si Steve Lacy peut aussi facilement être rapproché d'Odd Future, c'est parce qu'il fait partie de The Internet, groupe fondé aux côtés de Syd et Matt Martians, deux anciens membres du collectif californien. Parce qu'il se définit lui aussi comme un gars étrange, une sorte de nerd, timide, bisexuel, pas vraiment adapté à la marche du monde. Et parce qu'il partage avec eux la même facilité à se fondre dans différents univers. Ces dernières années, on l'a ainsi entendu sur les albums de Solange, Vampire Weekend, Kendrick Lamar ou même YG. À 24 ans, le CV est solide.
Sur le papier, Mercury et Bad Habit n'ont rien de foncièrement nouveau, mais ils ont cette science du son, ce goût des arrangements luxuriants ou encore ce sens de la sensualité et du refrain qui claque. Surtout, ce sont des petites bombes de funk-soul, parfois empreintes de bossa-nova, qui donnent envie d'enfiler des pantalons en satin et de faire des chorégraphies débiles. Pas étonnant, dès lors, qu’ils aient été choisis comme premiers singles de « Gemini Rights », son deuxième album. Pas étonnant non plus d’entendre çà et là des médias comparer Steve Lacy au Stevie Wonder des années 1970, voire au Prince du début des années 1980 : il y a chez cet auteur-compositeur-interprète-multiinstrumentiste, perfectionniste jusqu'à l'extrême, la même autonomie créatrice.
La même ambition également. À savoir composer une musique à la fois mature et spontanée, sensuelle et directe, lumineuse (Sunshine) et langoureuse (Give You The World), qui évoque l'idée d'une guérison à la fois sentimentale et physique.
Trois ans après « Apollo XXI », un premier long-format nommé aux Grammy Awards, « Gemini Rights » est donc l’album d’un artiste qui s’affirme, qui a mis de côté le DIY pour le confort des studios et qui a enfin trouvé sa place après des années d’errance, de doutes et de peurs. « La chose que je détestais quand j'étais enfant, c'était d'être identifié, que l'on me dise ce que je suis », confiait-il récemment au Guardian, avouant au passage avoir suivi une thérapie dans l'idée « d'être plus ouvert à la création, d'écarter les choses qui m'empêcheraient d'être la meilleure version de moi-même. »
Ce n’est pas faire insulte à « Apollo XXI » que d’être plus que jamais impressionné par ce deuxième album, enregistré dans un studio fréquenté par Dr. Dre, et où Steve Lacy embrasse différents styles avec un bonheur expressif constant. Chaque chanson est un hit potentiel, chaque titre est systématiquement dédié à son ex, y compris quand le Californien se fait plus violent, cru et sexuel dans ses paroles. « You had a heavy dick, a cannon ... I could use your deep throat », clame-t-il sur Cody Freestyle. Ou le parfait symbole d’une musique qui se pense avec la tête mais prend tout son sens dans le bas du corps.