Que vaut "Alpha Zulu", le nouvel album de Phoenix ?

Enregistré dans le musée des Arts Decoratifs du Louvre avec l’aide de Thomas Bangalter, le septième album des Français, qui saute parfois dans une machine à remonter le temps pour reprendre là où « Wolfgang Amadeus Phoenix » s’est arrêté, prouve que Phoenix évolue et vieillit sans perdre en qualité.
  • Il y a quelque chose de fascinant chez Phoenix. Voilà 23 ans qu’il navigue dans l’univers de la pop avec une aisance presque aberrante. Grammy Awards, albums couronnés de succès commerciaux et critiques, étiquette de « meilleur groupe français »… la formation composée de Thomas Mars, Laurent Brancowitz, Christian Mazzalai et Deck D’arcy est à la fois sous pression, mais semble totalement capable de la gérer, comme si celle-ci n’existait pas. Ou du moins comme s’ils étaient immunisés contre toute forme de menaces qui pourraient peser sur eux — ne pas réussir à se renouveler, faire l’album de trop, devenir conventionnel, etc. Dans ce sens, Phoenix est un joyau. Et « Alpha Zulu » une œuvre que l’on pourrait accrocher dans le musée de la musique française, à l’étage où sont réunies les pièces de collection. 

    Cinq ans après le mitigé « Ti Amo » (2017) — un album concept sur l’Italie assez brouillon — Phoenix va revenir en marchant sur des oeufs. Pour la première fois de sa carrière, les Français ont été séparés à cause de la pandémie. Fatalement, le processus créatif en prend un coup. Les réunions sur Zoom ne sont pas aussi enthousiasmantes que les sessions ensemble. Alors quand au début de l’année 2021, Phoenix a l’occasion de se retrouver ensemble — Thomas était confiné aux États-Unis avec sa famille — toute la frustration créative accumulée sur les derniers mois explose. Résultats : le groupe produit et accouche de 80% de l’album en quelques jours. Exit les longues discussions : Phoenix enregistre tout ce qu’il lui passe par la tête, même si rien ne semble être cohérent. Ça leur rappelle les débuts, la période « United ». « Cet album était un peu plus un album ‘’Frankenstein’’ parce que nous avons essayé d'élargir le spectre autant que possible et de mettre des choses qui ne devraient pas coexister ensemble. Et nous avons accepté les défauts, nous avons accepté beaucoup d'erreurs ou gardé des premières prises par exemple », explique Thomas dans une interview accordée à Stereogum.

    Sauf que maintenant, ils ont presque 25 ans de bouteille pour tout remettre en ordre, et peaufiner l’album afin qu’il prenne la forme qu’ils ont en tête. Pour styliser ce disque, Phoenix choisit comme studio le musée des Arts Décoratifs situé dans le Louvre. Le lieu est fermé à cause de la pandémie et se transforme en résidence pour artistes. Au milieu des pièces de musée, comme le trône de Napoléon, les Français mettent les touches finales à « Alpha Zulu », accompagné par l’ancien Daft Punk Thomas Bangalter qui donne ses conseils au groupe — et qui prend officieusement la place de feu Philippe Zdar, qui avait produit plusieurs albums de Phoenix avant son décès en juin 2019. 

    « Alpha Zulu » est peut-être le meilleur album de Phoenix. Ce n’est pas le groupe qui le martèle en interview sans y croire vraiment afin de faire « décoller » les ventes. Il s’agit d’un constat logique une fois l’album écouté, digéré. On ressent une similitude avec les Strokes, dans cette manière de créer des ponts entre les styles, de réussir à s’approprier les codes de la pop, de les mêler aux musiques électroniques, puis d’en faire quelque chose de Phoenix, c’est-à-dire de très classe, de subtile, de rusé et d’ingénieux. Un objet multi-formes, multicolores, qui traite de sujets un brin sinistres (la peur de vieillir, l’incertitude, les tragédies), mais qui le fait sur dix morceaux impeccables et incroyablement astucieux. The Only One aurait pu être le premier single, Artefact pourrait figurer sur un disque de la bande à Julian Casablancas et My Exilir flotte dans les airs comme Thomas Pesquet. Un petit bémol sur All Eyes on Me, dispensable.

    Mais « Alpha Zulu » est le genre d’album qui montre que l’urgence et les contraires peuvent aussi être des atouts à la création et non des freins. Phoenix est de ces groupe qui peuvent passer des centaines d’heures à parfaire un morceau pour finir par le jeter à la poubelle. Sur ce disque, il y a eu moins de blabla et plus de tentatives. Plus de fulgurances, sûrement. De frénésie. Mais chez Phoenix, ça ne prend pas une allure punk, ou DIY. Ça donne des tubes à presque tous les étages, et dix chansons déjà intemporelles qui marqueront la génération qui suit le groupe depuis ses débuts ainsi qu’une nouvelle. Le retour de Phoenix se fait donc par la grande porte. 

    Crédit photo : ©Shervin Lainez

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