2022 M06 20
Le 31 juillet 2007, Jack et Meg, qui forment comme vous le savez les White Stripes, montent sur la scène du Snowden Grove Amphitheater de Southaven, dans le Mississippi. Ils jouent 20 titres, dont plusieurs morceaux du nouvel album « Icky Thump », saluent la foule puis s’en vont. Ce soir-là, le duo a joué son dernier concert. Meg, qui souffre d’anxiété sévère, n’est plus en mesure d’assurer la tournée. Annulation des prochains concerts, tension… puis séparation. La vraie arrivera officiellement en février 2011. Elle était inévitable. « C'est pour une myriade de raisons, mais essentiellement pour préserver ce qui est magnifique et spécial du groupe, et le laisser dans cet état », écrit alors le groupe dans un communiqué diffusé sur leur site internet. Mais tout s’est joué durant cet été 2007.
Pourtant, le 15 juin 2007, tout semble aller pour le mieux. Le groupe sort son sixième album. La presse parle d’une « résurrection » et d’un album « maîtrisé », « noisy » tout comme « féroce ». Le disque, enregistré en l’espace de trois semaines à Nashville (au Blackbird Studio) possède cette rage, cette furie, cette envie de démolir un mur en béton avec des riffs. Jack et Meg font une leçon de rock en 13 chansons. Ils piochent dans le vieux blues (comme d’hab), dans les classiques du milieu (Led Zep, les Stooges, Scott Walker, etc.) et font ce qu’ils savent faire de mieux : allumer les amplis et laisser la musique faire le reste, comme si elle avait des pouvoirs magiques. Et là où l’on voit que les Stripes ne sont pas une bande d’escrocs, c’est qu’ils ont (presque) toujours réussi ce qu’on reproche généralement aux autres : expérimenter et surprendre tout en restant fidèle à ses valeurs, et à sa vision originelle.
« Pour l’album d’avant, j'avais un piano dans le salon et j'écrivais beaucoup sur cet instrument, donc beaucoup de piano s'est retrouvé sur le disque. Avec Icky, je sortais d'une année de tournée avec The Raconteurs, je jouais de la guitare tous les soirs sur scène et je faisais des improvisations avec Brendan. C'était la première fois que je jouais sur scène avec un autre guitariste depuis des années, c'est pourquoi il y a beaucoup de guitares sur cet album. », raconte White dans une interview.
Tout ce qui a été reproché à « Get Behind Me Satan » (2005) — en gros : un disque mou du genou avec trop de ballades — n’est plus là sur « Icky Thump ». Dès l’ouverture de l’album, sur le titre éponyme, les spectres de Led Zep viennent combattre un Jack White fou, utilisant un synthé pour ajouter une dose de bizarrerie. Et niveau extravagance, les White Stripes offrent la dose recommandée pour une année dans un seul disque.
Conquest est une vieille chanson des années 50 — interprétée par le chanteur Corky Robbins — remise au goût du jour en version hard rock et flamenco. Jack part ensuite saluer ses ancêtres en Écosse sur Prickly Thorn, But Sweetly Worn, un titre où l’on peut entendre l’instrument emblématique du pays : la cornemuse. Par chance, elle est à nouveau présente sur le prochain morceau, St Andrew (This Battle Is In The Air). Si cette chanson est l’une des plus excentriques jamais enregistrées par le duo, elle prouve qu’à ce stade, Jack et Meg n’en avaient plus rien à faire du code du rock. Et tant pis si les infractions commises allaient leur faire perdre leur permis de jouer — ils vont de toute façon se séparer dans deux mois. Le reste de l’album confirme la direction prise, celle d’assumer ce côté étrange, parfois dérangeant, mais toujours exaltant — il suffit de lancer I’m Slowly Turning Into You pour s’en rendre compte. Effect and Cause apporte une douceur, comme un café gourmand à la fin d’un repas.
« Icky Thump » est le disque le plus long de la carrière du groupe. Ça sera aussi le dernier. Quand le groupe décide d’annuler le reste de sa tournée en 2007, ils savent qu’une chose s’est brisée. Mais que, peut-être, les pièces pourront se recoller. Ce n’est que 3 ans plus tard, en 2010, que Jack comprend que la fin approche. « Quand Meg et moi sortions ensemble ou parlions, j'avais l'impression que ce n'était plus possible », indique alors le guitariste dans une interview pour Apple Music.
Jack, qui était allé voir ailleurs en sortant un disque avec The Raconteurs (« Broken Boy Soldiers » en 2006) et qui continuera de faire des allers-retours entre ses différents projets, a offert avec Meg un dernier disque de haut vol. Un « retour aux sources » en prenant des chemins de traverse en quelque sorte. Et une belle manière de conclure une aventure qui a marqué l’histoire du rock.