2021 M02 15
Historiquement, Radiohead a toujours été de ces groupes dont la musique semble parfaitement adaptée au format album, moins intéressé à l’idée de publier des singles populaires (leur réticence à jouer Creep sur scène est là pour le rappeler) qu’à développer des œuvres à part entière, qui forment un tout et s’autorisent de grands écarts. Pourtant, en 2009, deux ans après la sortie de « In Rainbows », les Anglais surprennent leurs fans en publiant sur leur site des chansons isolées, sans perspective d'album derrière.
En interview, Thom Yorke, désormais libéré de la pression des labels, laissait d'ailleurs supposer que Radiohead n'enregistrerait sans doute plus de nouveau long-format. La preuve : Phil Selway, le batteur de la bande, va profiter de cette période pour sortir son album solo.
La surprise est donc totale quand, le 18 février 2011, Radiohead dévoile sur son site « The King Of Limbs », un huitième album prévendu de plusieurs façons : en téléchargement payant (soit 7 euros pour les huit fichiers MP3), dans un coffret collector regroupant deux vinyles emballés dans du papier journal, etc. Ce jour-là, la vidéo de Lotus Flower est également mise en ligne. Il faut bien exciter le public, l'appâter avec du contenu inédit. Pourtant, sur la forme, « The King Of Limbs » est tout sauf inouï : Thom Yorke psalmodie ses textes tout du long, Bloom ne surprend guère une fois l'écoute de Lotus Flower terminée, tandis que Codex et Morning Mr Magpie, bien qu’excellents, recyclent une formule mainte fois explorée par le passé.
Soyons clair : sur la forme, « The King Of Limbs » est un bon disque, dans lequel on prend plaisir à plonger, ne serait-ce que pour cette façon qu'a le quintette d'Oxford de déambuler entre les genres musicaux et d'agencer des mélodies tellement riches et éloquentes qu'elles se passent d'artifice et de démonstrations de force. C’était déjà le cas sur « Kid A » ou « Hail To The Thief », ça l’est de nouveau ici, spécialement sur l’ultime Separator avec son rythme saccadé, tout en nuances et en retenu.
Le problème, c'est ce sentiment de redite, cette façon avec laquelle, sans le savoir, les Anglais tournent le dos au précepte autrefois prodigué par Brian Eno : « Ce qui a marché la fois d’avant, ne le recommence jamais. »
Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si, au moment de la sortie de « The King Of Limbs », beaucoup de journalistes se sont si longtemps attardés sur la commercialisation du disque plutôt que sur son contenu. Certains saluaient cette stratégie marketing, arguant qu'elle mettait sur un même pied d'égalité les critiques et le public, qu'elle envoyait valser toutes les barrières qui, jusqu'alors, séparaient un groupe de ses fans.
D'autres, au contraire, regrettaient que l'on rende davantage justice à cette opération marketing plutôt qu'au talent, oubliant que les premiers avaient finalement raison : avec « The King Of Limbs », Radiohead annonce en fin de compte la décennie à venir, où les albums surgissent sur la toile à la dernière minute, où les fans sont de plus en plus proches du processus de création, où les médias découvrent les albums en même temps que le reste du monde. Ainsi, libre à chacun de s'approprier le disque, selon ses propres grilles de lecture et sans avoir été inondé d'informations au préalable. Ce qui, soyons honnêtes, n'est peut-être pas plus mal.