Faut-il réévaluer la cote du Bob Dylan des années 80 ?

Alors qu’une nouvelle boxset intitulée « Springtime In New York: The Bootleg Series Vol. 16 (1980-1985) » s’intéresse au Bob Dylan des années 80, loin d’être considérée comme sa meilleure période, retour sur trois albums qui méritent tout de même votre attention.
  • Quand on pense à Bob Dylan, l’image d’un jeune homme avec une guitare acoustique vient en tête. Un génie capable de ne pas vous ennuyer même en chantant A Hard Rain's A-Gonna Fall, qui a pondu des albums mémorables (« Bringing It All Back Home », « Highway 61 Revisited », « Blonde on Blonde » ou encore « Blood on the Tracks ») et qui fait partie des grands noms de la musique.

    Dans les années 60, Dylan est une idole. 20 ans plus tard, la donne a changé. Sa relation à Dieu ainsi que sa conversion au christianisme inonde ses nouvelles chansons. Il aurait eu une révélation en 1978 dans une chambre d’hôtel à Tucson, en Arizona. Bob, qui aurait senti une présence dans la pièce qui ne pouvait être que Jésus, a l’impression de renaître. Il embrasse le christianisme alors qu'il a baigné toute sa vie dans le judaïsme. Il passe même 14 semaines à étudier la bible avec un groupe évangélique baptisé Vineyard Fellowship.

    Pour les fans, Dylan représente un esprit libre, un artiste engagé qui ne suit pas les meneurs. Et donc qui n’a pas de fortes croyances. Les journalistes écrivent que sa passion pour la religion lui aurait inspiré ses pires chansons, et que sa poésie a laissé place à une succession de dogmes. Dylan est alors perçu comme un artiste sur le déclin, un fanatique déprimé et dépourvu d’inspiration. Mais les années 80 pour Dylan ont-elles été si terribles que ça ? Disons que les eighties n’ont pas été, comme pour de nombreux artistes, ses plus belles années. Mais sur les 7 albums sortis durant cette décennie, trois sortent (un peu) du lot.

    « Infidels » (1983)

    Après deux disques religieux critiqués par tout le monde (« Saved » et « Shot of Love »), Bob Dylan doit rebondir. Il appelle Mark Knopfler, qui a joué sur « Slow Train Coming », pour produire son nouvel album. La tête pensante de Dire Straits amène avec lui son claviériste (Alan Clark) ainsi que le producteur du groupe (Neil Dorfman). Quand ils arrivent, le duo jamaïcain Sly & Robbie ainsi que Mick Taylor (l’ancien Rolling Stones) sont déjà dans le studio. Il y a donc du beau monde. Mais tout ne se passe pas comme prévu.

    Knopfler et Dylan ne sont pas sur la même longueur d’onde. Mark est minutieux et prend son temps alors que Dylan est plus spontané et immédiat. Mark adore les overdubs, Bob les déteste. Quand l’album est terminé, et que Mark part en tournée avec Dire Straits, Dylan ré-enregistre certains titres et en remixe d’autres. Il change aussi la tracklist (il retire par exemple une chanson intitulée Foot Of Pride, reprise plus tard par Lou Reed, ainsi que Blind Willie McTell). Au final, le disque n’est pas du tout celui qu’avait laissé Mark à Bob avant son départ. Mais « Infidels » marque le retour de Dylan dans la cour des grands. Le come-back du songwriter protestataire (License to Kill parle des dangers du progrès et des armes à feu et Union Sundown évoque le commerce mondial) et de l'artiste tant apprécié pour ses prises de paroles et ses convictions.

    Les morceaux à écouter : Jokerman, License to Kill et Sweetheart Like You

    « Empire Burlesque » (1985)

    Changement de producteur pour « Empire Burlesque ». l’Américain Arthur Baker, qui a notamment bossé avec Afrika Bambaataa et New Order, est aux manettes. Pour situer, Arthur a par exemple mixé Girls Just Want to Have Fun de Cyndi Lauper, Born In The U.S.A. de Springsteen ou Thieves Like Us de New Order. 

    Dylan enchaîne les sessions dans différents studios à travers les États-Unis, tantôt avec Ronnie Wood, les musiciens de Tom Petty ou ceux de Bruce Springsteen (Steve Van Zandt et Roy Bittan). Sur l’album, les chansons à texte sont au rendez-vous. Clean Cut Kid raconte l’histoire un garçon qui, perverti, finit par devenir un meurtrier. Trust Yourself est adressée à la nouvelle génération qui doit aller de l’avant et ne pas faire comme celle qui est tombée dans le cynisme et le matérialisme. Et sur Dark Eyes, on retrouve Bob avec sa guitare et son harmonica, comme au bon vieux temps.

    Ceci étant dit, c’est plutôt une vibe rock FM qui est choisie pour « Empire Burlesque ». Pas forcément le meilleur choix : le son de la batterie n’est pas à la hauteur (une boite à rythme remplace un vrai batteur sur Trust Yourself et ça fait débat) et l’aspect synthétique donne une froideur à certains titres au lieu de les amener vers d’autres univers. Dylan a voulu un disque « un peu comme Madonna ou Prince ». Il aura un disque « à la Dylan », globalement satisfaisant mais un peu en décalé par rapport à son image.

    Les morceaux à écouter : Clean Cut Kid, Dark Eyes et Something’s Burning, Baby

    « Oh Mercy » (1989)

    À la fin des années 80, Dylan, qui a tout donné sans marquer les esprits (« Knocked Out Loaded » en 1986 et « Down in the Groove » en 1988), tente un dernier coup de poker. (spoiler : « Oh Mercy » sera listé à la 44e place des 100 meilleurs albums des années 80 par le magazine Rolling Stone). Sur les recommandations de Bono, Bob Dylan engage Daniel Lanois pour la production (aussi connu pour être le petit protégé de Brian Eno). Un choix judicieux qui lui permet d’avoir un vrai travail dans les textures sans broyer l’intimité des chansons du songwriter américain. En somme, Daniel parvient à capter l’esprit de Dylan, et à le faire renouer avec ses grands classiques de la trempe de « Blood on the Tracks » et « Blonde on Blonde ».

    « Oh Mercy » est clairement son meilleur disque des années 80. Mais il ne suffit pas à remonter sa cote globale sur cette décennie, en dessous de la moyenne. Et pas sûr que la boxset « Springtime In New York: The Bootleg Series Vol. 16 (1980-1985) » n’arrange quoi que ce soit. 

    Morceaux à écouter : Everything is Broken, Ring Them Bells, Shooting Star et Man in the Long Black Coat