2021 M11 26
Kyan Khojandi est un humoriste. Une fois ce constat établi, il serait facile de considérer « L’horizon des évènements » comme un album parodique, le disque d'un artiste qui s'ennuie, de ceux qui souhaitent se la jouer poète des temps modernes alors qu'ils ne voient bien souvent pas plus loin que leur nombril. On sent même ce stéréotype pointer le bout de son nez à la lecture du communiqué de presse, où le disque est décrit comme « la sortie d'un trou noir », le résultat de ce moment « où la vie et le goût de la vie reviennent. »
À l’écoute de ce dernier premier album, on se rend toutefois compte à quel point il est non seulement navrant de penser ainsi, mais surtout dégradant pour ces arrangements et musiques autrement plus risqués, orchestrés, malins. Notons que « L’horizon des évènements » a été enregistré et composé en étroite collaboration avec Clément Libes (Christophe, Soprano), Guillaume Brière (The Shoes, Orelsan) et Ben Mazué, ce qui laisse à penser que Kyan Khojandi a su s’entourer de mecs qui, comme lui, aiment la mélodie - on parle tout de même d’un homme qui pratique l’alto depuis ses 12 ans et a fait plus de 15 ans de Conservatoire.
Il serait ainsi dommage, au nom d’a priori injustes, de se passer de ses réflexions concises, de son autodérision, de ces mélodies séduisantes, car intelligemment pensées, mais surtout de son aisance à croquer la loose dans des textes où il est question de nostalgie (La sortie des classes), de ces doutes qui suivent une rupture (Soleil nuit), de ces horribles personnes qui « lèvent un sourcil sur leurs selfies » ou de la femme parfaite - « Une femme qu'y'a pas peur de mes exs (contrairement à moi) / Une femme qu'y'a pas peur d'avoir peur (contrairement à moi) / Une femme qui est super forte en sexe (contrairement à moi) ».
Tout n’est évidemment pas parfait, on n'est d'ailleurs pas certain que le disque ait été pensé pour être réécouté en boucle, mais on retrouve sur « L’horizon des évènements » tout ce qui a toujours été la sève de l’écriture de Kyan Khojandi, celle qui a marqué les esprits dans diverses séries aujourd'hui devenues cultes (Bref, Bloqués, Serge le mytho) : une certaine faculté à nourrir de spleen son geste créatif, à narrer avec intelligence les doutes quotidiens, à explorer ses noirceurs (ruptures amoureuses, relations toxiques, deuil) et à trouver régulièrement ce petit mot, cette petite réflexion qui injecte un peu d’humour à son discours, et lui permet de se tenir à bonne distance des schémas négatifs. Ce qu'il souhaite, visiblement : « J'veux pas en rester là, j'veux rebondir. Comme une envie de guérir, comme une envie de pas mourir ».
« L’horizon des évènements » n’est donc pas ce disque pour parents d’élèves qui écoutent France Inter et feuillettent Télérama. C'est une œuvre intime (ça se comprend dès les premiers mots), pensé ces trois dernières années (ça s’entend dans sa richesse instrumentale, avec ses basses alourdies, ses arrangements de cordes, ses moments autotunés, etc.), selon un tracklisting qui fait écho aux différentes étapes d'un deuil (Choc - Déni - Colère - Marchandage - Tristesse - Acceptation - Reconstruction).
Ce schéma, c’est précisément ce qui évite à « L’horizon des évènements » d’être pesant, voire monotone : outre une interprétation, très variée, très dynamique, J’te déteste et OK se révèlent assez drôles, tandis que les huit autres titres frappent au plus près du cœur grâce à des textes humbles et référencés, tristes et rigolos à la fois, à la langue totalement désinhibée mais avec ce regard distancié. Celui que portent sur la vie les gens qui manquent encore et toujours d'assurance.