2022 M02 4
À entendre parler Vald en interview, on le sent parfois lassé par le marché de la musique, désintéressé par les stratégies promotionnelles et les singles calibrés pour affoler les compteurs streams. Le revers de la médaille d’un succès tel que Désaccordé (153 millions de vues), probablement, ce qui expliquerait presque l’existence d’Anunnaki en tant que premier extrait de « V ». De la production au flow chantonné, les liens entre ces deux titres paraissent assez évidents.
Reste que Vald semble avoir désormais envie d’autre chose. Là où son album avec Heuss L’Enfoiré (« Horizon vertical ») et les compilations de son label (Echelon Records) affichaient l’envie de simplement rapper, un morceau comme Sur un nouvel album prouve aujourd’hui sa volonté de se libérer de la dictature du chiffre, celle qui s’oppose à l’art et à la joie toute bête de n’écouter que ses propres obsessions.
La singularité de Vald, c’est d’être un rappeur multiple, capable d’incarner diverses esthétiques, d’aller vers n’importe quel type de production. Cela a fait la force de ses mixtapes, provoqué quelques réserves à l’écoute d’« Agartha », avant que Seezy ne vienne donner une vraie direction artistique aux albums suivants qui, sans être impeccables et totalement poreux à l’épreuve du temps, contenaient un paquet d’idées séduisantes et venaient confirmer une vérité : Vald n’est pas un homme rationnel.
On sent chez lui du perfectionnisme, l’envie d’expérimenter et de se prendre la tête, aussi bien sur le fond que sur la forme, pour trouver des angles inédits. Le clip d’Anunnaki est en cela un bon exemple : inspiré par La mouche de David Cronenberg, Vald incarne ici un homme dévoré peu à peu par l’ambition, perdant tout contrôle et franchissant progressivement les limites de la nature humaine.
Eloquente, l’ambition de ce single ne doit pas faire oublier la particularité du style Vald : le contrepied et, plus certainement encore, le sous-texte. Toutes ces allusions (politiques, sociales, rapologiques) qui parsèment ses lyrics et lui permettent de poser des idées, des réflexions ou simplement des instantanés sans jamais être rattaché à un genre précis. Ni vraiment conscient, ni poétique, ni totalement égotripé, son rap préfère aux tics de langage développer une grammaire personnelle, qui met tout en relief, effrayé à l’idée d’être trop plat ou, pire, trop frontal.
Rappeur conscient est ainsi un titre qui, paradoxalement, se fiche de la politique, et rappelle que Vald, malgré des positions toujours plus tranchées et un regard acerbe sur la société, n’est pas Kery James - qu’il citait en décembre dernier sur Le retour du V : « Les choses sont telles qu'elles sont et ça n'sera jamais autrement ».
Tour à tour dur et cynique, mais aussi déconneur, affable et désenchanté, Vald est sur « V » un rappeur au flow souple, inventif, enchainant les images saisissantes et les idées mélodiques qu’il transforme en chansons efficaces grâce à une interprétation changeante et des refrains intelligemment pensés - dont un assuré par Hamza (Maudit), comme un clin d’œil au rap du début des années 2000. Côté featuring, Orelsan livre également une performance impeccable, tout en style et saillies, sur un Péon voué à marquer les esprits.
« C’est votre grand-frère un peu Orelsan, non ? », interrogeait Léa Salamé sur France Inter. Non : si le rappeur caennais a évidemment permis à toute une génération de proposer un rap décalé, éloigné des thématiques habituelles, Vald n’appartient à aucune famille. Si ce n’est la sienne, celle qu’il forme aux côtés de Seezy, Mercus, Sirius, Hellboy et Suikon Blaz AD : tous obnubilés à l’idée de créer du sur-mesure, à faire de « V » le disque qui définit au mieux l'univers de Vald, entre exercices de style (les enchainements, les multisyllabiques, etc.), propositions inédites (type Regarde toi, et ses notes synthétiques héritées des 80's), et morceaux purement rap. À croire que le Français n’est jamais aussi bon que lorsqu’il n’a plus le goût de jouer le jeu d’une industrie qui vous pompe la moelle en vous forçant à sourire.