Avec "KMT", Gazo veut devenir le boss du rap français

Certifié disque de platine avec « DRILL FR », le rappeur de Saint-Denis convie Damso et Skread sur « KMT » : un deuxième projet qui instaure la paix entre la drill et des mélodies radiodiffusables via des morceaux qui regardent la scène UK droit dans les yeux. Moins en quête de validation que de respect.
  • Gazo a ce truc assez rare, impossible à simuler. Ce petit quelque chose en plus perceptible chez ces gens qui, sans rien changer à leur apparence, semblent autant à leur place pendant un défilé fashion week que dans une fête de quartier, en session Colors qu’aux côtés des figures les plus intéressantes du rap UK actuel (Pa Salieu, Unknown T). Un sens de l'équilibre tout aussi évident à l'écoute de son nouveau projet, « KMT », qu’il aura bien du mal à faire passer pour une mixtape tant tout ou presque y est maîtrisé.

    Ici, il ne s’agit plus d’être dans la drill invariablement nerveuse, dynamique et connectée à la rue. Rappel, son dernier single, en est l’exemple le plus frappant : Gazo assume son chant et accepte de ralentir le BPM, conscient d'offrir là le meilleur écrin à ses ambitions « pop ».

    En prime, le jeune homme de 27 ans réussit l'exploit de réunir presque tous les featurings de son projet (Damso, Skread, Tiakola, M Huncho) au sein d'un même clip. Ça ne suffira pas à faire de Rappel la vidéo de l’année, mais c’est toujours bon de souligner la force fédératrice d’un rappeur à qui tout a réussi ces 24 derniers mois.

    Comme souvent dans le rap, tout s’est effectivement accéléré pour Gazo depuis 2020. Il y a eu la série Drill FR, la collaboration avec Freeze Corleone (DRILL FR 4, vu 28 millions de fois), un premier album certifié disque de platine en moins d’un an et un nombre d’auditeurs en constante progression (près de 5 millions par mois sur Spotify). Au-delà des chiffres, il y a surtout cette musique, incarnée par une voix grave, charismatique, ces morceaux désormais mixés par Nk.f (PNL, Niska, Damso) et cette détermination qui l'incite à affirmer son style.

    Autrement dit, il n'est plus question pour Gazo de proposer coûte que coûte une version des morceaux qui l’ont inspiré (ceux de Pop Smoke, par exemple), mais d’assumer son ambition artistique, qui englobe la drill, le cloud-rap et la trap pour mieux s’en distinguer.

    Certains regretteront peut-être que l’ensemble soit un peu trop appliqué, en phase avec le paysage rap actuel, en manque parfois de folie. C’est vrai que l’on aimerait entendre Gazo partir par instants en dérapage incontrôlé alors qu’on le sent encore arrimé à ses intentions, ainsi qu’à des thématiques bien connues des amateurs de rap.

    Sa force, c'est toutefois de pouvoir s'appuyer sur son sens de la mélodie (certainement pensé aux côtés de son pote Tiakola, surnommé « La mélo »), des punchlines incisives (« Je crois en Dieu et mon canif », rappait-il en ouverture de son premier projet), sa conscience du monde autour (« Y'a ceux qui voulaient ma tête/Y'a ceux qui prient pour oim »), cette aisance à se jouer des ambiguïtés - celle d’un artiste qui sait que « l’humain est mauvais » mais qui en rappe régulièrement les vices - et cette volonté d’aller au-delà de sa zone de confort.

    Il y a en effet suffisamment d'idées nouvelles (les notes de violon sur DIE, les pulsions amoureuses de FLEURS) pour penser que « KMT » (l’acronyme de « kemet ») n’est pas qu'une mixtape de plus, rapidement consommée, rapidement oubliée. C’est un projet qui contient quelques moments forts (BODIES, en feat. Avec Damso, très lourd, très fort !), qui s’inspire du nom donné par les Egyptiens de l’Antiquité à leur pays, considéré alors comme une « terre noire », et qui annonce à sa manière une nouvelle ère. Celle d'une drill mélodique, qui accueille la nuance sans rien perdre en consistance, ni en souffle.

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