2019 M10 2
Mystère et suspense. Quiconque a déjà prêté attention à Chromatics sait à quel point le quatuor de Portland cultive le secret. Il ferait presque de la concurrence aux grands maîtres du genre (Solange, Frank Ocean, Prince…) avec leur obsession de la confidentialité. Depuis la sortie de leur dernier album en 2012, « Kill For Love », difficile d’avoir de réelles nouvelles de Ruth Radelet, Adam Miller, Nat Walker et Johnny Jewel : on a vu ce dernier publier de multiples projets expérimentaux, on a entendu le quatuor balancer quelques inédits et rencontrer une hype nouvelle grâce à David Lynch, mais impossible de savoir ce qui se tramait en studio.
Le son du silence. Fidèle à son mode de fonctionnement, c’est donc à la surprise générale que Chromatics a publié cette nuit son premier album en sept ans, « Closer To Grey ». C’est avec tout autant de pertinence que le duo ouvre cet album avec Sound Of Silence, réinterprétation vaporeuse et planante du classique de Simon & Garfunkel. Après tout, Chromatics, c'est exactement ça : non seulement une certaine aisance à recycler le passé (cf. la reprise de Running Up That Hill de Kate Bush), mais aussi une façon mystérieuse d’être au monde, de laisser de la place au calme et aux rêveries, d’adjoindre à chaque phrase quelques points de suspension.
Traduction : même s'ils aiment jouer avec les nerfs de leurs fans, les Américains traitent systématiquement les auditeurs avec respect à travers des morceaux qui tournent le dos à l'extravagance, refusent d'être consommés rapidement, accrochent l'oreille illico mais nécessitent plusieurs écoutes pour être compris pleinement. C'est également ce que suggère le logo placé au bas de la pochette : « Suggested For Mature Audiences, Sonic Discretion Advised ». Malin.
Entre deux mondes. Sur « Closer To Grey », aucune trace des différents singles dévoilés par le groupe ces dernières années (Shadow, Black Walls, Just Like You). Aucune trace également de ces sessions qui auraient dû donner naissance à « Dear Tommy » et que Johnny Jewel a préféré balancer à la poubelle en 2017.
Publié chez Italians Do It Better, ce septième long-format n’a pourtant rien d’un contre-pied : Light As A Feather, Move A Mountain ou On The Wall (une reprise de The Jesus & Mary Chain) sont des titres fidèles à l’esthétique de Chromatics ; ils n’apportent rien de totalement nouveau, mais ils sont toujours suffisamment envoûtants pour captiver. À croire que, oui, on aime se perdre dans cette pop hyper planante, bourrée de synthés, sorte de rencontre rêvée entre Nico et les Cocteau Twins, dont on ne sait jamais si elle charrie la joie ou la tristesse.