2022 M07 29
Il s’agit de la bande originale du film Super Fly (1972).
Avant de bosser sur ce film, Curtis Mayfield est déjà un artiste engagé et reconnu. Ses chansons évoquent l’Amérique des années 1970 : les tensions raciales, la guerre du Viêtnam, le New York délabré, les addictions aux drogues, le ghetto, le mouvement des droits civiques ou encore les dealers et les pimps qui squattent les coins de rue.
Alors quand on lui propose de composer la B.O. d’un film qui raconte les déboires d’un dealer afro-américain, Youngblood Priest, qui tente de quitter le milieu des trafiquants avec un gros coup avant de se tirer avec sa femme Georgia, Curtis n’a pas à aller bien loin pour trouver l’inspiration : « Je n'ai pas eu à quitter mon quartier pour être immergé dans l’histoire de Super Fly », a expliqué le musicien dans une interview datant de 1973 reprise par Rolling Stone dans cet article. « Ce n'est pas que le ghetto prospère avec des proxénètes et des dealers. C’est juste qu'ils sont une partie très visible du ghetto. Si vous vous tenez au coin de la rue, vous remarquerez le proxénète, car il est si brillant… et vous devez comprendre que la moitié de chaque grande ville est un ghetto ». À la fin de l’année 1971, Curtis commence à travailler sur les chansons du film. Il écrit un premier titre, Pusherman, puis les autres quelques mois plus tard. Au total, et sans ses prises de voix, il mettra quatre jours à mettre boîtes les chansons de cette bande originale. D’après les chiffres, ce disque se serait ensuite vendu à plus de cinq millions d’exemplaires.
Curtis et son groupe apparaissent même dans le film.
Pour l’une des scènes du film, Curtis et son groupe doivent se produire en arrière-plan dans une boîte de nuit. Pour tourner, le réalisateur Gordon Parks Jr. a besoin d’un titre complet. La bande passe alors la nuit au Bell Sound Studios de New York et met en boîte Pushermen. La scène est tournée le lendemain. Efficace.
La chanson No Thing On Me (Cocaine Song) est anti-drogue.
Même si Curtis Mayfield a accepté de réaliser ce disque, ce n’est pas pour autant qu’il allait glorifier la vie des proxénètes, des dealers et des addicts. Le titre No Thing On Me (Cocaine Song) est l’exemple parfait, sur l’album, de ses propres convictions, car le film a tendance à rendre les drogues « cool », du moins à les glorifier. Curtis a été lui-même surpris de l’omniprésence de la coke dans le film. Sur ce titre, il chante « tu n’es pas obligé de devenir un junkie » et fait passer les dealers pour les bad boys, qui prennent l'argent et font des profits sur les problèmes d’addiction. Plus globalement, Curtis n’avait pas l’intention de raconter le prestige des pimps mais de chanter la réalité, avec plus d’humanité, et d’aller creuser plus loin dans les sentiments et les états d’âmes des différents personnages.
Super Fly est l’un des films cultes de la Blaxploitation.
À cette époque, une grande majorité des Afro-américains ne se retrouvent pas dans le cinéma. Un courant, appelé la Blaxploitation, leur offre un cinéma plus proche de leur quotidien. Ce sont des films réalisés par des Afro-américains, avec des acteurs afro-américains, et destinés à un public afro-américain. Et souvent, la musique est aussi celle d’artistes afro-américains (Stax, la Motown, etc.). Super Fly, mais aussi Shaft, Black Shampoo, Coffy ou encore Dolemite font partie des classiques du genre.
L’album est une source d’inspiration énorme pour le hip hop.
En 2008, Chuck B de Public Enemy a rendu hommage à Mayfield : « Quand le hip-hop est devenu sérieux, bien sûr, tu reviens à ce qui t’a influencé, ce qui t’a touché dans le passé. Les mots de Curtis Mayfield et les Impressions signifiaient tout […] Il y avait quelque chose dans la posture de Curtis Mayfield que nous avons reproduit ». La liste des rappeurs et artistes hip hop à avoir samplé l’un des titres de cet album est longue comme le bras : Beastie Boys, Notorious B.I.G, Erykah Badu, Eminem, Chance The Rapper ou encore Snoop Dogg pour ne citer qu’eux. Comme James Brown, Mayfield fait partie des pionniers du rap, un peu comme Gainsbourg en France, considéré — notamment par MC Solaar — comme le premier rappeur français.