2023 M04 17
Le morceau s'appelle Heart on my sleeve, et on y entend distinctement les voix de Drake et The Weeknd. Pourtant, ils n'ont jamais participé à l'enregistrement. Comment une telle prouesse est-elle possible ?
Tout simplement grâce à une intelligence artificielle assez entraînée sur la discographie des deux artistes, au point d'être aujourd'hui capable d'appliquer leurs voix à n'importe quelle partie chantée par le premier quidam venu.
Concrètement, cela signifie que sur Heart on my sleeve, un mystérieux individu a créé un beat et des paroles – il faut lui reconnaître cela – d'abord enregistrées avec sa propre voix, avant de la remplacer par celles de Drake et The Weeknd en deux clics grâce à l'IA entraînée.
Et si l'on parle de mystérieux individu, c'est parce que le garçon en question se fait appeler ghostwriter (subtil) et se cache derrière un drap blanc et des lunettes de soleil dignes d'un mauvais déguisement de fantôme pour Halloween, probablement par peur de se retrouver devant la justice.
@ghostwriter977 hi im ghostwriter. #drake #aivoice #theweeknd #ai #aidrake #theweekndai ♬ Heart on My Sleeve by Ghostwriter out everywhere. - ghostwriter
Et pour cause : partagé sur TikTok et les plateformes de streaming, son morceau cumule déjà des millions de vues, ce qui ne devrait pas être du goût d'Universal, le label des deux artistes.
Hasard du calendrier ou pas, on a appris la semaine dernière que la plus grosse major de l'industrie de la musique avait expressément demandé à Spotify et Apple Music de bloquer l'accès des IA à son énorme catalogue.
Universal Music Group has told streaming platforms such as Spotify and Apple to block AI services from scraping melodies and lyrics from copyrighted songshttps://t.co/dnRaqzLEoU
— Financial Times (@FinancialTimes) April 12, 2023
L'argument des avocats de la major est le suivant : les IA s'entraînent sur des œuvres protégées par le droit d'auteur, sans autorisation préalable ni versement d'une compensation financière.
Autrement dit, il s'agirait d'une concurrence totalement déloyale qui menace l'existence même de la création artistique humaine, et qui agite d'ailleurs tous les autres secteurs de la culture, inquiets aussi d'être allégrement pillés par des machines qui rappelons-le, ne créent pas à partir de rien mais génèrent des choses à partir de leur entraînement sur des œuvres existantes.
Et la bataille juridique ne fait que commencer. Il y a quelques semaines seulement, un certain Roberto Nickson travaillant dans l'IA a lui-même "créé" un morceau où sa voix est remplacée par celle de Kanye West grâce à une IA entraînée dessus.
And just like that. The music industry is forever changed.
— Roberto Nickson (@rpnickson) March 26, 2023
I recorded a verse, and had a trained AI model of Kanye replace my vocals.
The results will blow your mind. Utterly incredible. pic.twitter.com/wY1pn9RGWx
Face aux milliers de réactions reçues – le morceau a été écouté des millions de fois – et à la décision d'Universal, Nickson a comparé la situation à celle de l'arrivée du piratage de masse de la musique avec Napster, avant de prophétiser comme dans Star Trek que "toute résistance est futile" :
No – more money was spent on litigating than actually recovered.
— Roberto Nickson (@rpnickson) April 16, 2023
The music industry activating a strong legal push is futile (it only benefits the lawyers)
The faster they adopt and are able to embrace and monetize what's coming, the better.
« Mettre le paquet sur des actions en justice est futile (cela ne profite qu'aux avocats) pour l'industrie de la musique. Plus elle acceptera vite et sera capable de monétiser ce qui arrive, mieux ce sera. »
Selon lui toujours, il serait profitable pour les plus grandes voix de la planète comme Lady Gaga de faire protéger par le droit d'auteur leur voix, et de la mettre à disposition pour les créations de tout un chacun, tout en récupérant une partie des gains.
Il lui a peut-être échappé que Lady Gaga n'en a pas besoin, et qu'elle ne souhaite probablement pas être concurrencée, voire remplacée, par n'importe quelle personne utilisant sa voix.
Et dans le cas contraire, quid d'un morceau qui irait contre les valeurs de l'artiste et qu'elle souhaiterait faire retirer ? Quid d'un label possédant les droits sur la voix d'un artiste, et qui sortirait des albums à sa place ? Quant aux implications éthiques pour les artistes ayant passé l'arme à gauche, on préfère ne pas y penser.
Comme le ditle mystérieux ghostwriter dans une phrase pompeuse digne d'Anonymous, "this is just the beginning".
Crédits photos : Drake / The Weeknd