Bandcamp : la plateforme des artistes indés va-t-elle disparaître ?

Dix-huit mois seulement après son rachat par Epic Games, le site fleuron de la musique underground vient déjà d’être revendu à Songtradr, avec des licenciements massifs à la clé. Un changement de main brutal qui jette une ombre sur l’avenir de Bandcamp et qui suscite une grande inquiétude chez les artistes et les labels qui en dépendent au quotidien.
  • 273 millions de dollars. Selon Kotaku, c’est le prix payé par Epic Games pour s’offrir Bandcamp en mars 2022. Un rachat totalement incompréhensible à l’époque : que venait bien faire un géant du jeu vidéo réputé pour ses battle royale colorés comme Fortnite et Fall Guys dans le milieu de la musique indépendante ?

    Le mystère demeurera entier car personne n’a vraiment eu le temps de le percer : le 28 septembre dernier, Epic Games annonçait le licenciement de 870 personnes ainsi que la revente de Bandcamp à Songtradr, une plateforme spécialisée dans les licences musicales accordées par des artistes à des pubs, films et autres jeux vidéo.

    Malgré une interview de déminage donnée par le patron de Songtradr (Paul Wiltshire) au média Billboard, cette revente inattendue a rapidement tourné au vinaigre.

    Des employés de Bandcamp ont expliqué dans les médias avoir perdu l’accès à l’administration du site, tandis que Songtradr annonçait publiquement qu’en raison de la situation financière de Bandcamp, des coupes claires étaient à prévoir parmi les salariés de la plateforme.

    Le couperet est tombé quelques jours plus tard avec l’annonce du licenciement d’environ la moitié du personnel de Bandcamp (58 personnes sur 118).

    On a appris par la suite que les départements les plus touchés étaient ceux du service client et de l’éditorial, ce qui n’a rien de très rassurant pour l’avenir.

    Le premier est évidemment essentiel pour assurer le bon déroulé de dizaines de milliers de transactions réalisées chaque jour sur Bandcamp, tandis que le deuxième fait partie intégrante de l’identité du site : les articles publiés par des journalistes spécialisés sur Bandcamp Daily sont considérés comme un des derniers phares de la critique musicale aux Etats-Unis – dont la disparition est un sujet pour un autre jour.

    Pire encore, Songtradr ne reconnaît pas la légitimité du syndicat Bandcamp United – qui a lancé une pétition en ligne – et a même licencié essentiellement des employés syndiqués.

    Songtradr affirme de son côté ne rien souhaiter changer à l’identité du site et simplement vouloir permettre aux artistes qui le souhaitent de céder plus facilement leurs morceaux pour des licences musicales.

    Mais sa capacité à pérenniser l’activité d’un site comme Bandcamp est mise en doute, d’autant que Songtradr s’illustre surtout depuis quelques temps par ses nombreuses acquisitions réalisées grâce à de généreux investisseurs.

    Bref, même si Bandcamp tourne toujours à l’heure actuelle, l’inquiétude gagne du terrain chez les innombrables artistes indépendants qui ont élu domicile sur la plateforme. Bandcamp prélève en effet des commissions réputées faibles (10-15%) sur les ventes – de disques, de morceaux dématérialisés ou de merchandising – réalisées directement par les artistes auprès de leurs fans sur le site.

    Depuis 2020 et la crise sanitaire, Bandcamp renonce même ponctuellement à ses commissions lors des fameux Bandcamp Fridays, ces vendredis où 100% des recettes vont dans la poche des artistes – et dont la viabilité économique peut d’ailleurs être légitimement questionnée à la lumière des événements récents.

    Bandcamp était-il rentable comme il le clamait, ou perdait-il de l’argent comme l’affirme Paul Wiltshire ? Personne ne le sait vraiment, mais une chose est certaine : Bandcamp est aujourd’hui une source vitale de revenus pour beaucoup d’artistes indépendants qui ne gagnent rien sur les plateformes de streaming, favorables aux stars mondiales.

    Le site affiche d’ailleurs fièrement sur sa page d’accueil deux chiffres flatteurs : les 1,2 milliard de dollars payés aux artistes depuis la création de Bandcamp en 2007, et les 193 millions de dollars reversés rien que pour l’année passée.

    L’ampleur de ces chiffres signifie pourtant quelque chose de dangereux aujourd’hui : Bandcamp est grosso modo en situation de monopole sur son créneau, ce qui signifie que sa mise à mal ou sa disparition auraient des conséquences catastrophiques pour les artistes qui en dépendent au quotidien pour vivre ou simplement tourner et faire connaître leur musique.

    Il n’existe pas aujourd’hui d’alternative crédible à Bandcamp avec le même modèle redistributif, la même capacité à mettre en relation les fans de musiques underground avec les artistes, la même réputation éditoriale pour faire découvrir des artistes inconnus dans des genres parfois improbables, la même simplicité et surtout la même notoriété.

    Mais les artistes indépendants doivent aujourd’hui se préparer à faire face à l’abîme d’un monde sans Bandcamp, et il est donc plus que jamais important pour leurs fans de les soutenir sur la plateforme tant qu’il en est encore temps. À toutes fins utiles, les prochains Bandcamp Fridays sont prévus le 3 novembre et le 1er décembre…

    Crédit photo illustration Une : Facebook officiel de Bandcamp.

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