2023 M03 27
En octobre 2019, six ans après la sortie de Blurred Lines, Pharrell Williams sort du silence. Il a mis du temps, mais l’Américain a réalisé que oui, la chanson avait un caractère sexiste, voire qu’elle se rapprochait de très très près de la culture du viol. « J'ai réalisé qu'il y a des hommes qui utilisent ce même langage lorsqu'ils profitent d'une femme », explique alors à GQ la moitié de The Neptunes. Mieux vaut tard que jamais. Pharrell fait référence à plusieurs passages du hit, comme le refrain « I know you want it » et les paroles « The way you grab me / Must wanna get nasty » ou encore « Just let me liberate you ».
Pourtant, dès sa sortie, et même si Blurred Lines devient un tube qui squatte les premières places des classements, la chanson est décriée. De nombreuses radios universitaires, notamment en Grande-Bretagne, montent au créneau et interdisent la diffusion de la chanson sur leurs ondes.
Sur YouTube, la version non-censurée du clip — où l’on peut voir Emily Ratajkowski, Jessi M'Bengue et Elle Evans seins nus en string en train de danser autour des trois mecs habillés et faire plein d’autres choses comme jouer du banjo, tenir un agneau, faire du vélo, etc — est carrément supprimée. De nombreuses personnes, dont la journaliste Tricia Romano, considèrent que les paroles prônent la culture du viol puisque le morceau met en avant une femme qui a envie d’avoir une relation sexuelle mais qui ne le dit pas frontalement, et un homme qui va interpréter des signes « floues » pour lui donner ce dont elle aurait envie.
Enfin, The Guardian finira par publier un article en écrivant que Blurred Lines est « la chanson la plus controversée de la décennie ». La raison ? Le consentement n’a pas de « lignes floues » — les fameuses « blurred lines » chantées dans le morceau — et le sexe sans consentement, c’est tout simplement du viol.
How Blurred Lines became the most controversial song of the decade http://t.co/YvJIxsnbLW pic.twitter.com/QBYjGI9JMl
— Guardian G2 (@guardiang2) November 14, 2013
La polémique, justifiée, prend de l’ampleur la même année lors des MTV Video Music Awards. Sur scène, Miley Cyrus conclut son show en reprenant Blurred Lines aux côtés de Robin Thicke. Comme dans la vidéo, lui est habillé — en costume rayé — et Miley est en bikini en latex en train de lui caresser l’entrejambe et de se courber en se frottant à lui. Twitter s’affole, et dans une Amérique puritaine, la scène choque et fait scandale — même si elle n’est pas plus trash que dans le clip.
Lors d’interviews, Robin Thicke, 36 ans à l’époque, tente de se dépatouiller comme il peut, disant qu’il a écrit ce morceau « pour sa femme » et que son tube n’a rien de sexiste ou d’immoral. Mais rien y fait. Durant toute l’année 2013, Blurred Lines tourne sur les ondes et fait parler. Et ça continue encore dix après puisque de nouvelles polémiques se sont ajoutées au fil du temps.
En 2015, Robin Thicke et Pharrell Williams se retrouvent au tribunal face à la famille de Marvin Gaye. La raison ? Sur Blurred Lines, le duo a plagié un morceau de la légende américaine, le titre Got to Give It Up sorti en 1977. Après plusieurs années de procédures judiciaires, Robin et Pharrell sont condamnés en 2018 à verser 7,4 millions de dollars aux héritiers de l’artiste soul. Mais ce n’est pas tout.
En 2019, comme dit plus haut, Pharrell Williams avoue qu’il se sent désormais mal à l’aise avec cette chanson et en 2021, Emily Ratajkowski prend la parole pour dénoncer le comportement de Robin Thicke durant le tournage des clips. Elle raconte dans son livre My Body que Robin se serait approché d’elle, par derrière, et lui aurait attrapé et touché les seins. Une scène confirmée par Diane Martel, la réalisatrice du clip, lors d’une interview avec le Sunday Times. D’ailleurs, selon elle, ce clip n’est pas sexiste. Les trois mannequins sont en position de force, elle regarde droit à la caméra et leurs performances sont drôles et subtiles, comme elle le raconte à Vulture. Une théorie difficile à défendre, même avec du recul.
Dix ans après, ce clip pose toujours autant de questions auxquelles on commence à avoir des réponses. Même si le clip a été réalisé par une femme, ce type de discours sexiste et misogyne peut être évité si plus de femmes sont placées dans des positions décisionnaires au sein de l’industrie musicale et font barrière aux morceaux, pochettes, clips ou propos qui prônent des valeurs déplorables ou mettent en danger l’intégrité d’autrui. Vu le scandale autour de Blurred Lines, la bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit sûrement du dernier clip de ce genre à voir le jour, et à être diffusé aussi largement.