L'histoire de la musique de "Marie-Antoinette" de Sofia Coppola, la reine des B.O.

À l’occasion de l’arrivée sur CANAL+ d’une nouvelle Création Originale dédiée à la vie de la dernière reine de France, pourquoi ne pas se replonger dans l’ambiance musicale unique du grand film d’époque de Sofia Coppola ? Un peu plus de quinze ans après la sortie de Marie-Antoinette, retour sur une des bandes originales les plus cultes de l’histoire d’Hollywood.
  • Dès les crédits d’introduction du film, le ton est donné. Allongée dans sa méridienne, une servante à ses pieds, Marie-Antoinette mange du gâteau avec les doigts sur les notes de Natural’s Not in It, du groupe de post-punk Gang of Four. Nous sommes bien dans les années 1700, et alors ? Marie-Antoinette n’est pas un biopic comme les autres, et sa bande-originale en est la première preuve.

    Plutôt que d’utiliser uniquement des standards la musique classique, la réalisatrice veut utiliser des références contemporaines qui lui évoquent sa jeunesse. Car comme beaucoup de films de Sofia Coppola, Marie-Antoinette raconte l’adolescence d’une jeune fille.

    Et on l’oublie un peu trop souvent, mais la dauphine n’avait que 14 ans lorsqu’elle a été expédiée à Versailles comme une vulgaire monnaie d’échange diplomatique par l’Autriche, pour épouser le futur roi (15 ans) et surtout lui donner illico presto une descendance sous les regards indiscrets de toute la Cour.

    Alors quoi de mieux pour illustrer l’énergie, la naïveté et la rébellion de l’adolescence que le post-punk et la new wave que la réalisatrice écoutait quand elle traversait elle-même cette période ? Et pour trouver la B.O. rock parfaite, Sofia Coppola a la chance d’avoir une botte secrète.

    Depuis son premier long-métrage, elle a l’habitude de confier la musique de ses films au batteur et superviseur musical américain Brian Reitzell, responsable donc de déjà deux bandes originales incroyables, Virgin Suicides (1999) et Lost in Translation (2003). Grâce à ces deux triomphes, le duo a désormais une méthode bien éprouvée au moment où commence le travail sur Marie-Antoinette.

    La réalisatrice demande à ce dingue de musique qui possède une énorme collection de disques de lui graver sur cassette ou CD – le charme des années 2000 – des compilations, qu’elle écoute ensuite pendant l’écriture du scénario, tout comme l’ensemble de l’équipe du film pendant le tournage. Pour Reitzell, le processus est douloureux : pendant trois mois, il fait du surplace, avant de finir par trouver la clé pour remplir ses deux mixtapes.

    Il a évidemment été un peu aidé par Sofia Coppola aussi, qui lui glisse quelques noms comme New Order, dont le fameux Ceremony finira par illustrer une scène étourdissante de fête adolescente de Marie-Antoinette à Versailles – champagne et sucreries à gogo jusqu’au crépuscule, cocaïne snifée sur le poignet et ardoise scandaleuse laissée aux croupiers venus de Paris. Mais la réalisatrice partage aussi ses inspirations visuelles, comme des photos du groupe de new wave Bow Wow Wow, reproduisant Le Déjeuner sur l’herbe de Manet.

    Comme Adam and the Ants, un autre groupe emblématique du mouvement flamboyant des Nouveaux Romantiques – né an Angleterre à la sortie du punk – qui inspire énormément Sofia Coppola pour le film, Bow Wow Wow finira sur la bande originale de ce dernier, avec pas moins de trois morceaux, dont l’énorme tube I Want Candy (remixé par Kevin Shields de My Bloody Valentine), qui accompagne la scène de l’orgie de pâtisseries de tissus, de jeux, de bijoux, de coiffures et surtout de chaussures, dont les désormais célèbres Converse.

    Quant à Adam and the Ants, non seulement leur Kings Of The Wild Frontier réhausse la scène de sexe torride entre Marie-Antoinette et le comte Axel de Fersen, mais l’apparence de ce dernier dans le film a aussi été inspirée par le look qu'arborait Adam Ant dans les années 1980, une référence incontournable de la réalisatrice pour le film.

    Autre grand moment musical de Marie-Antoinette, la scène du bal masqué, où tout le monde danse sur… Hong Kong Garden de Siouxsie and the Banshees, précédé d’une nouvelle introduction de cordes rappelant qu’on peut parfaitement mélanger post-punk et classique.

    Mais si les potes habituels – Air, Strokes, Kevin Shields – de Sofia Coppola sont là aussi, il faut quand même pouvoir payer le droit d’utiliser les morceaux de tout ce joli petit monde, ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses.

    Heureusement, depuis le succès de Virgin Suicides et de Lost in Translation, les artistes sont plutôt partants pour que leurs chansons soient utilisées dans des films considérés alors comme extrêmement cools, quitte à perdre de l’argent dans l’affaire, ce qui fut le cas tous ceux présent sur la B.O. selon Reitzell.

    Dans une interview, il raconte par exemple que Robert Smith a écrit à son label pour que les deux morceaux des Cure présents dans le film soient vendus à prix discount. Et pourtant, quels morceaux ! Le majestueux et fort à propos Plainsong pendant le couronnement de Louis XVI, et All Cats Are Grey dans les crédits de fin et la dernière scène, quand Marie-Antoinette et Louis XVI font leurs adieux à Versailles et se dirigent grosso modo vers leur mort programmée.

    Rétrospectivement, si l’usage anachronique de la musique dans Marie-Antoinette a beaucoup influencé les films et les séries des dernières années, peu de productions ont pris le risque d’aller aussi loin que Sofia Coppola avec cette bande originale. En revanche, le fait d’utiliser des tonnes de vieux morceaux plus ou moins connus de l’histoire du rock est depuis devenu un passage obligé assez gênant de presque tous les blockbusters hollywoodiens.

    Sofia Coppola le déplorait d’ailleurs dans une interview donnée à Pitchfork en 2011, où elle reconnaissait aussi avoir été elle-même coupable du péché de « bombarder » le public de chansons sur Marie-Antoinette. C’est ce qui explique pourquoi son utilisation sera nettement plus modérée dans son film suivant, Somewhere (2010), dont la bande originale est aussi excellente. Mais c’est une autre histoire.

    De notre côté, on ne lui en veut pas, bien au contraire. On pourrait épiloguer pendant des heures sur les autres formidables groupes présents dans la BO de Marie-Antoinette, comme les Suédois de The Radio Dept. ou Windsor for the Derby, mais on ne peut pas décemment conclure sans les notes de piano du Avril 14th d’Aphex Twin, qui apparaît à plusieurs reprises dans le film. Longue vie à la reine des bandes originales !

    La série Marie-Antoinette, en diffusion sur CANAL+ dès le 31 octobre.

    Le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola est visible actuellement sur myCANAL.

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