2021 M12 24
De façon un peu caricaturale, il y a deux façons d'appréhender la discographie de Wham!. D’un côté, des chansons pop entrainantes, aussi kitsch que savamment orchestrées (Wake Me Up Before You Go-Go, Club Tropicana). De l’autre, des ballades au BPM ralenti, parfaites pour accompagner et réconforter les cœurs en peine. Nothing Looks The Same In The Light, extrait de leur premier album (« Fantastic »), en est plutôt une belle démonstration, et explique en partie l’orientation stylistique d’un autre tube du duo, sorti un an plus tard, en 1984.
Sur Last Christmas, qui a longtemps été le single le plus vendu de l'histoire sans jamais s'être hissé au sommet des charts (une première place finalement acquise en 2016 après la mort de George Michael), on retrouve en effet une même structure : une mélodie relativement simple et une grille d’accords qui n’évolue que très peu tout au long du morceau. On retrouve aussi cette même volonté de mettre la voix en avant. Celle, très belle, très pure, d’un George Michael mué en véritable control freak des studios, comme s’il s’agissait pour lui de poser les prémices de sa future carrière solo.
Sorti le 30 novembre 1984, selon un timing idéal pour les fêtes, Last Christmas a été enregistré quelques mois plus tôt, au beau milieu de l’été londonien. À l’époque, George Michael, Andrew Ridgeley et leur ingénieur du son, Chris Porter, reviennent tout juste de sessions d’enregistrement dans le sud de la France. Le deuxième album de Wham!, « Make It Big », est en préparation et ils ont compris qu’ils étaient désormais capables d’enregistrer sans producteur, ni musiciens supplémentaires. Une indépendance totale qui, forcément, donne des idées à George Michael.
« Je pense que c’est à ce moment-là que George a commencé à réaliser que s’il le voulait, il pouvait tout faire lui-même, explique Chris Porter au Guardian. Il pouvait se passer de toutes les autres personnes et de leurs idées ». Vrai : au sein du studio Advision, c’est un George Michael en short (on est en été, rappelons-le !) qui vire tout le monde à l’exception de Chris Porter, redécore la cabine avec des lumières de Noël et ne conserve que quelques instruments - pour les experts : une boîte à rythmes LinnDrum, un synthé Roland Juno-60 et des cloches, histoire de faire corps avec l’esprit des fêtes.
Problème ? Le Britannique n’ayant aucune formation de musicien, l’enregistrement est laborieux. « C’était un processus compliqué, dans le sens où il jouait littéralement des claviers avec seulement deux ou trois doigts », précise Porter, presque gêné.
Si George Michael, 21 ans à l’époque, paraît si sûr de lui au moment de poser sur bandes Last Christmas, au point de vouloir jouer de tous les instruments lui-même, c’est aussi parce qu’il tient particulièrement à cette chanson, écrite dans sa chambre d’enfance, là où Andrew et lui ont passé des heures à pasticher des émissions de radio quelques années plus tôt.
Il a cette ligne mélodique en tête, cette envie de prouver qu’une chanson de Noël n’est pas uniquement un coup marketing, et ces paroles, mélancoliques, presque acerbes, qui contrastent volontiers avec la puissance du refrain, réconfortant et chaleureux : « Noël dernier, je t'ai offert mon cœur, mais le jour suivant, tu l'as abandonné, cette année, pour m'éviter de pleurer, je le donnerai à quelqu'un de spécial ». A priori, pas le genre d’ami qu'on souhaite convier pour le réveillon...
Malgré tout, rien ne semble pouvoir entraver le succès de Last Christmas, qui s’écoule à 3,7 millions d’exemplaires dès sa sortie, et dont la réussite est à peine éclipsée par un autre single de Noël, sorti également en 1984 : Do They Know It's Christmas ?, une chanson caritative et collective à laquelle participe également... George Michael. Paraîtrait même qu’il aurait rejoint ce casting XXL (Sting, Phil Collins, Bono, etc.) dès la fin du tournage du clip de Last Christmas. Une belle histoire, en somme, porteuse d’un tas de bonnes valeurs, familiales et bienveillantes, mais néanmoins entachée par une accusation de plagiat de Barry Manilow, qui trouve que la grille d’accord de Last Christmas est similaire à celle de son tube, Can’t Smile Without You, sorti en 1978.
Sauf que les films hollywoodiens ont fini par le prouver : à Noël, un miracle finit toujours par arriver. Rapidement, c'est-à-dire avant que l'affaire ne fasse trop de bruit, un musicologue intervient et prouve que plus de soixante morceaux du 20ème siècle utilisent la même suite de notes. Par conséquent, Last Christmas, malgré de multiples reprises plus ou moins recommandables (Taylor Swift, Ariana Grande, Good Charlotte...), reste cette chanson unique dans laquelle on aime se blottir chaque fin d’année. Un peu comme s’il s’agissait des bras accueillants d’un vieil ami avec qui on passe du bon temps et qui fait revenir à la surface les souvenirs des temps plus naïfs.