2023 M03 17
Water Deep, le morceau qui ouvre ton nouvel album, peut s’entendre comme un hommage à un genre musical qui a toujours été très important pour toi : le shoegaze. C’est voulu ?
Oui, le shoegaze est un de mes gros coups de cœur d’adolescent, et reste encore aujourd’hui une de mes principales inspirations. J’aime la mélancolie qui s’en dégage, de même que cette puissance dans l’instrumentation. Ayant grandi dans les années 1980, je pense que j’ai inconsciemment tendance à reproduire ce genre de sonorités, qui privilégient les saturations, les chorus ou la reverb, tous ces effets que l’on utilisait à l’époque et qui me paraissent finalement intemporels. Au sein d’un paysage musical extrêmement prolifique, où l’on ne sait pas toujours quoi écouter, j’ai l’impression que la façon dont on se réapproprie ses propres influences est précisément ce qui nous permet de nous démarquer.
Cette profusion de sons, tu as l’impression qu’elle génère du stress, qu’elle te stimule sur le plan créatif ou justement qu’elle bloque de peur d’avoir absolument besoin de te démarquer ?
Disons que ça peut surtout être contraignant pour les plus jeunes artistes, ceux qui débutent et se retrouvent plongés dans cette jungle surréaliste où il faut créer de la musique en permanence, jouer un rôle d’influenceurs, être attractifs sur les réseaux, etc. Si je commençais ma carrière aujourd’hui, honnêtement, je serais déprimé et peut-être incapable de m’exprimer musicalement. Heureusement, j’ai sorti mon premier album en 2001 et, même si j’ai du mal à trouver ma place au sein du paysage actuel, je sais que j’ai la chance d’exister grâce à une fan base solide qui me permet de sortir les albums dont je rêve, sans me mettre trop de pression ou avoir à me soucier de l’attente des labels. En 2023, c’est une chance incroyable.
Surtout, tu as le luxe de pouvoir disparaître plusieurs années sans que ton nom ne soit oublié…
Pour moi, être artiste, c’est accepter de disparaître un peu, se recentrer sur autre chose que la musique et garder une part de mystère. Aujourd’hui, la présence des réseaux sociaux dans la promotion directe des musiciens rend cette situation presque impossible. À croire que l’on a besoin de connaître la vie d'un artiste sur le bout des doigts, que l’on a besoin d’entendre de nouvelles musiques de sa part tous les ans, de le voir en festival chaque été… C’est assez glauque quand on y pense.
Le fait d’apparaître masqué sur ta pochette, c’est une façon de déjouer une époque où tout peut être vu en permanence, où la mise en scène de soi est constante ?
Il faut savoir que je me déteste en photo, je hais les shootings, cette façon de montrer sa tête partout et tout le temps. De là est donc née l’idée de créer ce monstre en latex, qui rend également hommage à ce que l’on voyait dans les séries Z et les films d’horreur des années 1980. C’est bête, mais cela me permet d’être présent sur les réseaux sociaux tout en conservant une approche artistique. Encore une fois, c’est important pour moi de communiquer sur un disque en gardant une part de mystère, de laisser une place à l’imaginaire ou au geste créatif.
Pour teaser ton retour et l’arrivée de « Fantasy », tu as choisi comme premier extrait Oceans Niagara, un single que tu as composé en imaginant des gens « conduire à toute vitesse ». As-tu conscience de composer une musique idéale pour les longs trajets en voiture ?
Ce qui est sûr, c’est que j’écoute principalement de la musique en bagnole. J’aime me faire des road trips avec une playlist spécialement composée pour l’occasion. Après tout, la voiture est l’endroit idéal pour écouter de la musique tout en observant les paysages qui défilent autour de nous. Et puis, il faut le dire, « Fantasy » est également un hommage au krautrock, avec pas mal de clins d’œil à Neu!, Can ou à toutes ces musiques d’autoroute dont le tempo ne ralentit jamais, si bien que tu finis en transe et que tu en viens à ne penser à rien d’autre qu’au mouvement.
C’est le fait de vivre à Los Angeles, une ville où n’importe quelle activité nécessite une voiture, qui t’incite à adopter cette approche ?
C’est sûr que le fait de vivre à quarante minutes en voiture de l’océan, des montagnes ou du désert doit avoir un impact sur moi, sur ma musique. Depuis que je suis ici, j’ai envie de me déplacer en voiture, de découvrir tous ces paysages que je ne connais pas et qui, pourtant, me paraissent si familiers grâce aux séries et aux films qui ont marqué mon esprit. Je vis une sorte de rêve américain désuet : ma musique en est finalement le reflet.
Sur « Fantasy », on t’entend davantage chanter. Est-ce difficile pour toi d’assumer cette partie de ta musique sachant ta timidité, voire même ton goût pour le retrait ?
Oui, ça reste extrêmement difficile… En 2011, « Hurry Up, We're Dreaming » m’a un peu pris au piège : je me suis beaucoup mis en avant sur cet album, et celui-ci a rencontré un vrai succès. Depuis, j’ai la sensation que l'on attend de moi que je retourne vers ce genre de son. « Junk », était une réaction à cela, une volonté de m’ouvrir à d’autres horizons via la présence d’un certain nombre de featurings. C’était voulu, c’était nécessaire, mais j’ai surtout perdu un peu de mon identité en faisant ça.
Désormais, j’ai besoin d’accepter que M83, c’est moi, que ma voix participe entièrement à la singularité de mon univers. Je ne dis pas que c’est un choix facile, ce serait d’ailleurs impossible pour moi de prendre une guitare et de chanter en acoustique, ce n’est pas ma force, mais je travaille dur pour assumer mon chant. Je sais que c’est pour le bien de ma musique, de mes albums.
« C’est un peu comme si je me sentais invincible derrière mes synthés, comme si le studio me permettait de me réinventer sous une autre forme. »
Le fait de t’appuyer sur les mots de ton frère (le réalisateur Yann Gonzalez), tu penses que c’est une façon d’aborder l’écriture et le chant avec davantage de pudeur ?
Sans doute, oui. Cela dit, il est tout de même moins présent à l’écriture que sur les albums précédents. À croire que je deviens de plus en plus autonome. Bien sûr, il y a toujours un peu de pudeur, mais j’ai la chance de la voir disparaître dès lors que je me mets derrière un micro ou un instrument. C’est un peu comme si je me sentais invincible derrière mes synthés, comme si le studio me permettait de me réinventer sous une autre forme.
Il paraît que « Fantasy » est né dans l’idée de créer un monde qui n’a pas grand-chose en commun avec notre réalité. Est-ce que, au fond, ce n’est pas tout simplement là le but de l’art : servir de refuge, encourager l’évasion ?
À qui le dis-tu ! Depuis toujours, j’encourage l’imaginaire, les rêves, la nécessité de s’oublier afin d’entrer pleinement dans mes morceaux. Ce n’est pas toujours facile de tenir un tel discours, surtout au sein d’une époque où l’on a l’impression qu’il faut être ancré dans le réél pour exister, mais j’ai envie de m’opposer à cette tendance. « Fantasy » est en cela un énorme FUCK envoyé à ceux qui pensent que l'art doit toujours être frontal.
Tu le disais, ton premier album (« M83 ») est sorti il y a plus de vingt ans. Avec le temps, est-ce qu’il y a des notes ou des mots que tu as finis par t’interdire ?
Je dois avouer avoir beaucoup de mal avec certains éléments de la musique actuelle, notamment l’autotune, dont je déteste le son, son omniprésence, surtout en France. Personnellement, j’essaye de proposer un contrepied en publiant un album fait à l’ancienne, avec du matériel que l'on est en droit de considérer comme daté. C'est peut-être un frein commercialement, mais c'est ce que j'aime. Et puis c'est un vrai challenge que de parvenir à moderniser des sonorités rattachées à une époque précise.