Il y a 25 ans, IAM faisait entrer le rap à “L’école du micro d’argent"

A priori, tout a déjà été dit sur le troisième album de la formation marseillaise, sorti le 18 mars 1997 : les médias l’ont salué de toutes parts, le public a largement répondu présent et les rappeurs, actuels ou non, continuent de le considérer comme un album essentiel à l’évolution du rap hexagonal. Reste que ce ne sont pas des raisons suffisantes pour s'empêcher de célébrer comme il se doit le 25e anniversaire de cette œuvre culte.
  • Dire d’un album qu’il est un classique n’est pas toujours bon signe. Il y a parfois, dans l’expression, un parfum de fainéantise et de séduction trop évident pour être honnête - surtout à l'heure des débats enflammés sur Twitter. Si l’on peut coller ce qualificatif à « L’école du micro d’argent », c’est moins parce qu'il symbolise l'âge d'or du hip-hop français - soit un rap très littéraire, biberonné au boom-bap new-yorkais – que parce qu'il réunit tous les éléments à même de justifier ce statut : 1,6 million d'albums vendus, des tubes à la pelle (Petit frère, Né sous la même étoile, L'empire du côté obscur), des hymnes hors formats (Demain c'est loin) et un son à l'avant-garde, clairement en avance sur le reste du rap français de la fin des années 1990, très nettement opposé à ce que la formation marseillaise proposait jusqu'alors. « Au fond, L'école du micro d’argent n’est qu’une extrapolation des morceaux les plus orthodoxes, les plus “rigoureusement rap” d’Ombre est Lumière », expliquait Akhenaton aux Inrocks.

    C’est même là le premier constat formulé à l’écoute de « L’école du micro d’argent » : l’évolution du style IAM. La production est désormais plus ample, le propos plus clair, les flows plus techniques. Tout se passe en réalité comme si Akhenaton, Shurik'n, Kheops et les autres parvenaient ici à circonscrire toute leurs idées : retravailler entièrement l'album, pourtant déjà presque finalisé, convoquer Prince Charles Alexander (Notorious B.I.G., Mary J Blige, Jodeci) à la production, puiser les samples ailleurs que dans la sainte-trinité jazz-soul-funk (ici les chants d'un rituel tibétain, là des violons extraits de la musique classique occidentale) et conter de façon très nette le désespoir social. À l'image de Demain c'est loin, où tout est mythique : le format (9 minutes dépourvues de refrains), la forme (une boucle minimaliste et répétitive), les paroles qui plongent dans la réalité de la rue et les figures de style de Shurik'n (notamment l'anadiplose, consistant à débuter une phrase en reprenant le dernier mot de la précédente).

    À l'origine, les premiers vers de Demain c'est loin étaient destinés au premier album solo de Shurik'n (« Où je vis », sorti en 1998). Finalement, Akhenaton a entendu l'instrumental, posé un vieux texte à lui dessus (originellement nommé Tour de béton) et pensé que le groupe tenait là un morceau particulier. À raison quand on sait que Nas a repris la prod pour un titre présent sur un bootleg sorti en 2000 (Second Coming).

    Ce qui frappe à l'écoute de « L'école du micro d'argent », c'est aussi son absence de concessions. Pas de refrains chantés, des productions connectées aux meilleurs beatmakers de New York (DJ Premier, Havoc, Easy Mo Bee, RZA), des invités purement rap (Sunz Of Man, Fabe, East) et un discours très sombre, plombé par l’époque, l’hypocrisie des politiques, les inégalités sociales et la montée du FN. « Le label a bien tenté de nous en dissuader, les mecs disaient que l’album était « trop spé », qu’il n’y avait pas de « tube » comme Je danse le Mia, nous expliquait Imhotep. On a défendu nos convictions et nos choix artistiques comme on l’a toujours fait, et ça marché. »

    On y parle de censure (Dangereux), de la mort d'un proche (Un cri court dans la nuit), de l'impérialisme français ou de la violence quotidienne, on y fait des références à la pop culture (un sample de L'inspecteur Harry, un clin d'œil à Star Wars, un titre nommé en hommage à un film de Sergio Leone) et on tord le cou à toute forme de rivalité avec NTM (« Chill est le Suprême, poto, y'a pas de rivaux », ponctué par une jolie faute de grammaire…).

    En clair : « L’école du micro d’argent », c’est un peu la mise en son d’une réalité, ce que l’on pense quand on regarde le quotidien avec un rien de mélancolie. C'est l’album qui concentre l’esthétique d’un hip-hop aujourd’hui dompté, le disque d’un groupe à son sommet, qui fait alors basculer le rap français dans une autre dimension. C'est l'œuvre d'artistes qui savent tout ce qu'ils doivent à ces seize morceaux, plusieurs fois réédités, parfois complétés (Fin de leur de monde, suite évidente à Demain c'est loin), conscients que l'histoire parle pour eux. 

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