2022 M05 7
« Faciendumne fuit tibi hoc ? / Putabam me posse tibi credere. » Si ces deux phrases énoncées dans la langue de Virgile et Cicéron ne vous évoquent rien, vous les avez pourtant bien entendu dans celle de Shakespeare. Effectivement, ce sont les deux premières du couplet d’ouverture de la chanson Bad Blood, tube planétaire de Taylor Swift et de Kendrick Lamar. D’emblée. Vous nous direz : mais quel est l’intérêt d’avoir traduit les paroles de ce tube dans une langue morte, voire presque enterrée ? Pour répondre à votre question, nous irons dans le sens du professeur Steven Hunt.
Dès qu’il a remarqué que ses élèves n’étaient plus du tout emballés par l’étude des textes d’époque via leurs manuels, cet homme cumulant 35 ans d’enseignement du latin a opté pour une méthode plus originale. Dans ce qu’il a nommé Teaching Latin: Contexts, Theories, Practices, son tout nouveau guide éducationnel, il défend un « apprentissage actif » plus similaire à celui utilisé dans le cas des langues modernes. Au sein de The Guardian, il étoffe son propos :
« Les élèves sont encouragés à parler, chanter, à jouer et à écrire de manière créative, plutôt que de simplement apprendre le vocabulaire et la grammaire à partir d’un bouquin. »
Concrètement, Steven Hunt propose de remplacer les textes anciens de Virgile par des phénomènes de pop culture plus récents. Il prend l'exemple d'un collègue qui, au lieu des vieux poèmes qui ne motivent pas les élèves, a traduit des chansons de Taylor Swift, notamment son tube Bad Blood. Les exercices restent les mêmes (à savoir : trouver puis comprendre les métaphores utilisées, examiner la grammaire, la syntaxe ou encore le vocabulaire) mais ils sont adaptées aux codes des jeunes. L'étendue de cette technique est d’ailleurs développée dans ce document.
Toujours dans les colonnes du Guardian, on apprend que la chanteuse américaine n’est pas la seule à faire l’objet d’une « latinisation » d’un de ses morceaux. Ainsi, l’une des versions de Libérée, délivrée, la chanson phare de La Reine des neiges est aussi très plébiscitée. Dernier exemple ? Cette fois, il faut se tourner du côté de Minecraft. Dans ce jeu vidéo minimaliste, des élèves ont pratiqué le latin tout en parcourant des sites antiques virtuels, notamment lors d’une visite d’un modèle 3D de Rome.
Afin d’appuyer la pertinence de cette nouvelle méthode, Steven Hunt a affirmé dans le même papier du Guardian qu’il : « n’existe pas qu’une seule bonne manière d’enseigner le latin ». Il continue :
« Certains enseignants commencent à trouver des réponses face à ce défi. La plupart d’entre eux s’inspirent des principes d’enseignement des langues vivantes. Parce que le cerveau humain est habitué au son, il apprend en parlant, en écoutant et en utilisant le langage. Certains professeurs de latin se rendent compte que c’est LA façon d’apprendre n’importe quelle langue — morte ou vivante. »
En plus des élèves, si cette méthode d’enseigner plus originale pouvait également motiver les profs, l’effet ne serait que plus bénéfique. Comme il l’explique dans une tribune publiée sur L’Obs, Robert Delord, président de l’association Arrête ton Char ! Les Langues et Cultures de l’Antiquité, déplore une baisse dangereuse des effectifs en France : « De 11 000 à 12 000 professeurs de lettres classiques dans les années 1980-1990, on est passé à 9 240 en 2017, érosion qui s’est amplifiée ces trois dernières années pour tomber à seulement 8 116 en 2020, soit moins d’un enseignant de latin et grec ancien par collège et lycée. » Peut-être qu'avec de nouvelles méthodes et des références plus actuelles, les candidats au poste de prof de latin seront plus nombreux. A quand les morceaux de Jul étudiés dans toutes les facs ?