2020 M03 25
Comment se sont déroulés ces derniers jours ?
Comme tout le monde, il m’a fallu du temps pour prendre mes marques et réaliser la situation. Mais bon, je pense désormais avoir un quotidien assez semblable à celui de n’importe quel musicien hors tournée, des périodes où on est traditionnellement assez casanier. Là, depuis quelques jours, et après des années d’usurpation, je me suis enfin mis à la guitare. Je n’avais jamais eu besoin d’apprendre, dans le sens où j’ai rencontré mes complices de Feu! Chatterton au lycée, mais là, c’est l’occasion de jouer des morceaux de base : Concrete Jungle de Bob Marley, Syracuse d'Henri Salvador ou L’affiche rouge de Léo Ferré, les grands classiques quoi.
Et ça va, le résultat est à la hauteur ?
Non, ce n’est pas forcément fameux, je chante même par-dessus pour masquer les mauvais accords et épargner les oreilles de ma chère et tendre, mais j’apprends vite. C’est sans doute l’avantage d’avoir la musique comme métier, ça facilite l’apprentissage.
Tes journées s’organisent comment actuellement ? Tu t’es imposé une discipline ?
Oui, je lis, j’écoute des podcasts, comme l’Odyssée d’Homère sur France Culture, et je prends plein de notes, comme un bon élève studieux. En revanche, j’essaye au maximum de ne pas m’imposer d’activités ou de contraintes. J’ai une forte tendance à la discipline, j’ai besoin d’avoir des journées bien remplies pour ne pas angoisser, mais là, j’aimerais vraiment profiter de cette période pour flâner. Pour tout te dire, avant la mise en place du confinement, on était en train d’écrire notre troisième album et on devait donner plusieurs concerts aux Bouffes du Nord à Paris pour présenter ces nouvelles chansons. Le réflexe, ce serait donc de profiter du temps actuel pour peaufiner les textes ou les arrangements du disque. Sauf que je n’ai pas envie de m’imposer ça.
Pourquoi ça ?
C’est un peu comme à l’école quand ton prof est malade : tu ne te dis jamais que tu vas profiter du temps supplémentaire pour réviser davantage, tu procrastines. Là, c’est pareil : je préfère flâner et ne pas tomber dans cet engrenage de la productivité, qui est finalement une contrainte énorme et même contraire à la beauté poétique. Du coup, je préfère affronter cette errance, cette dérive dans un état contemplatif.
Il y a des œuvres qui te permettent cet état d’esprit ?
Justement, je viens de terminer la lecture du Plâtrier siffleur de Christian Bobin, dans lequel on comprend que la poésie peut être un moyen extrêmement fort de lutter contre le système productif et outrancier dans lequel nous vivons. Je sais que ça peut paraître naïf, mais je suis persuadé qu'aborder ce confinement sans rien en attendre est le meilleur moyen de ne pas utiliser les armes de ceux qui nous gouvernent, de tourner le dos à leur avidité. Dans le livre [sympa, il en lit un long extrait, ndlr], Bobin dit que la poésie peut nous permettre de réhabiliter notre monde et de l’appréhender autrement. Alors, dans une société où chaque aspect de notre quotidien est un moyen de gagner en efficacité, j’essaye de lutter contre mes instincts et d’errer sans raison, en n’attendant rien. Malheureusement, je suis comme tout le monde : moi aussi je me suis dit que j’allais mettre le temps rendu possible par le confinement à profit pour lire, écrire ou que sais-je encore... D'ailleurs, je n’arrive pas du tout à flâner comme je le souhaiterais : la preuve, j’ai fini par m’inscrire à des cours de linguistique donnés par un professeur de Strasbourg sur YouTube. Ça représente 16 modules de deux heures, ça devrait m’occuper un peu !
De nombreux artistes disent souvent avoir besoin de s’isoler pour écrire et composer. Est-ce que, au final, on ne doit pas s’attendre ces prochains mois à des tonnes d’albums mis en chantier pendant le confinement ?
Ce qui est sûr, c’est que je n’ai jamais réussi à écrire en tournée, j’ai tendance à vouloir préserver mon énergie et mon attention pour les concerts. La seule fois où j’avais réussi à trouver des bribes de textes, je n’étais pas concentré le soir, une fois sur scène. Donc là, bien involontairement, ça crée des conditions qui peuvent être idéales pour écrire. Ça permet d’aller au plus profond des choses, d’atteindre un niveau de concentration extrême. Mais encore une fois, il faut savoir pourquoi on crée : si on le fait simplement dans l’idée de mettre à profit la situation, en pensant que ça pourra nous servir, finalement, on est déjà dans un rapport prédateur à l’acte créatif.
On sait que la situation actuelle met l’industrie musicale, entre autres, en difficulté. Est-ce qu’un groupe aussi établi que Feu! Chatterton peut être en danger à terme ?
Nous concernant, je ne m’inquiète pas trop, je suis plutôt du genre à voir les choses avec optimisme. Mais je sais aussi que je ne réagirais sans doute pas de la même façon si on venait de sortir un album ou si on s’apprêtait à partir en tournée. Là, ça doit être l’angoisse… Non, en vérité, je pense surtout à nos partenaires, aux tourneurs et aux techniciens, et donc aux ingé son, ingé lumière et backliner qui nous accompagnent depuis deux ans et qui n’ont que l’intermittence comme salaire. J’espère qu’on leur permettra d’étaler leur intermittence sur un an et demi plutôt que sur douze mois… Pour le reste, je suis persuadé que les gens auront envie d’aller en concert une fois le confinement terminé. Ça ne fait qu’une semaine, et on ressent déjà ce besoin de proximité physique.
Pour finir, tu peux nous dire dans quels disques tu t’es replongé ces derniers jours ?
J’écoute un peu ce qui sort, histoire de me tenir au courant, mais j’en profite surtout pour réécouter de vieux trucs, notamment les albums de Leonard Cohen, Sam Cooke, Otis Redding ou Jackson C.Frank. Hier, je me suis même réécouté « Comme à la radio » de Brigitte Fontaine – quel album et quelle période, la fin des années 1960, pour la chanson française !