Féminisme : le rap peut-il montrer l’exemple ?

Souvent pointé du doigts pour ses propos dits misogynes, le rap est avant tout le miroir de la société. Et quand celle-ci se révolte au nom des droits des femmes, comme l'ont rappelé les César ou la marche féministe ces derniers jours, le genre musical préféré des Français ne peut que suivre le mouvement.

Des figures féminines fortes.

C’est un fait que les médias généralistes, volontairement ou non, souhaiteraient irréfutable : le rap, à travers ses postures, ses clips et le contenu de ses lyrics, serait foncièrement misogyne. « Peut-on être féministe et aimer le rap ? », s’interrogeait même Le Parisien l’été dernier… À croire que d’autres genres musicaux comme le rock, pourtant dominé par les hommes et le stéréotype de la groupie, ne seraient pas concernés par la question...

Un comble quand on sait que le rap, selon une étude réalisée par Mouv’ en 2018, est écouté autant par les garçons que par les filles – qui seraient donc, si l'on se fie à ces articles, potentiellement hermétiques au combat mené par les féministes, voire incapables de comprendre le second degré ou la part fictionnelle inhérents au hip-hop ? Un comble également quand on sait que des figures féminines trustent le sommet des charts (aux USA avec Nicki Minaj et Cardi B, pour ne citer qu'elles), récoltent les éloges (Casey, en France, est loin d’être une exception) ou occupent des rôles importants en coulisses – pensons ici à Juliette Fievet, ex-manageuse de Kery James, Pauline Duarte, ex-Def Jam France, ou Eloïse Bouton, à la tête de Madame Rap, premier média dédié aux femmes dans le hip-hop.

Liberté de parole.

Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres. Des exemples qui n’occultent en rien le travail qui reste à accomplir au sein d’une industrie régie par le patriarcat, mais qui témoignent d’une vraie portée féministe au sein de la culture hip-hop. À ceux-là, on peut également ajouter l’empowerment défendu par des artistes comme Lizzo (en Amérique) ou Shay (en France) qui encouragent à jouer le jeu de l’hypersexualisation, mais aussi la façon dont les rappeuses ont pris le pouvoir en Espagne, notamment grâce à des formations comme IRA ou Tribade, quatuor féministe, ouvertement queer et auteur.trice d’un premier album l’année dernière nommé « Las Desheredadas » (« Les déshéritées », en VF)...

Dans le reste du monde, c’est la même tendance qui s’opère avec des artistes telles que SZA, Junglepussy, Little Simz, Princess Nokia ou Young M.A, qui cultivent leur hybridité et abordent des sujets rarement entendus ailleurs : ça parle de clitoris, de violences sexuelles et physiques, d’avortement et d’indépendance financière. Pareil du côté des rappeurs, qui parlent plus volontiers d’amour qu’il y a deux décennies, qui n’hésitent désormais plus à mettre en son des textes moins conformes aux codes de la masculinité tels qu’ils sont imposés au sein de nos sociétés, et qui prennent également la parole au nom de l'égalité entre les sexes - Combat de femme de Médine, par exemple.

Tout cela rejoint les propos tenus il y a quelques jours par l’autrice Leïla Slimani dans Les Inrocks : « Le féminisme ne peut se résumer à mettre en avant des femmes fortes, puissantes, riches ; à ériger en modèles des superhéroïnes. Il doit aussi être le combat des sans-voix, de toutes celles et ceux que le féminisme glamour, version Hollwyood, a tendance à oublier. »

Ainsi, le rap accomplit brillamment son rôle, dans le sens où il a toujours permis aux minorités (mais pas que) de s'affirmer, et donc à des artistes comme Missy Elliott ou Stefflon Don (toutes générations confondues) de se placer du côté des victimes, d'affirmer le contrôle de leur vie et de leur sexualité. Certains titres en attestent même avec brio : Rags To Riches de Cardi B, où elle revient sur la façon dont le strip-tease lui a permis de s’émanciper de sa condition sociale, My Mother’s Daughter d'Akua Naru, une ode aux femmes africaines, Sale chienne et #Balancetonporc de Chilla, plus que jamais en phase avec les manifestations actuelles, ou encore Tout est gore de Lous & The Yakuza et son refrain à entendre comme un manifeste : « M’appelle pas ma jolie, mon crew est chaud ! » Le mot d’ordre est lancé, ne reste plus qu’à le reprendre avec ferveur.