Et si on arrêtait de dire que Meg des White Stripes est une mauvaise batteuse ?

C'est un débat que l’on pensait clos depuis 15 ans et pourtant, il refait surface sur les réseaux sociaux à cause d’un tweet stupide remettant en cause les aptitudes de la batteuse des White Stripes. En 2023, il faut donc malheureusement encore rappeler que Meg White est une icône moderne du rock et qu'elle compte autant que Jack White dans le son et le succès du duo.
  • C'est une polémique tellement ancienne que les plus jeunes n'étaient pas nés quand elle est apparue pour la première fois. Dès que les White Stripes ont commencé à connaître un certain succès avec leur troisième album, "White Blood Cells" (2001), le milieu misogyne du rock a fait circuler une petite musique très pénible : derrière sa batterie, Meg White ne serait pas à la hauteur du guitariste et chanteur Jack White.

    Les articles de l'époque regorgent de piques plus ou moins subtiles envoyées à la batteuse des White Stripes, dénigrée par exemple dans toutes les premières critiques des albums du groupe sur le site américain Pitchfork.

    Vingt ans plus tard, nous revoici donc au même point à cause de Lachlan Markay, un journaliste américain – pas spécialisé en musique, il faut le préciser – qui a cru bon de tweeter tout le mal qu'il pensait du jeu de batterie de Meg White, en réponse à un article du magazine conservateur National Review, qui qualifiait Seven Nation Army de "chanson du siècle" – n'importe quoi, mais c'est un débat pour un autre jour. L'individu en question ayant courageusement supprimé son tweet depuis, voici ce qu'on pouvait y lire :

    « La tragédie des White Stripes, c'est qu'on imagine à quel point ils auraient été géniaux avec un batteur tout juste correct. (…) Je suis désolé, Meg White était épouvantable, et aucun groupe n'est rendu meilleur par des percussions merdiques. »

    Cette prise de position calamiteuse et horriblement sexiste a déclenché d'innombrables réactions de désapprobation, dont celle de la musicienne et ex-femme de Jack White, Karen Elson, qui a répondu en parodiant la phrase désormais célèbre de Will Smith lors de la gifle des Oscars 2022.

    Le batteur de The Roots, Questlove, a aussi pris la défense de Meg White, tout comme Ron Sexsmith, ou encore Ruban Nielson du groupe Unknown Mortal Orchestra.

    Même Jack White lui-même a pris le temps de répondre à la polémique, en publiant sur Instagram un poème inédit en hommage à l'ancienne batteuse du duo, accompagné d'une photo de cette dernière.


    Et depuis une semaine, ce sont surtout les milliers d'anonymes qui viennent à la rescousse de Meg White sur les réseaux sociaux, rappelant à quel point la batteuse des White Stripes est aujourd'hui une icône du rock. Mais alors : pourquoi aime-t-on autant une musicienne qui a été si critiquée pendant toute sa carrière ?

    Tout simplement parce que Meg White était la batteuse parfaite pour les White Stripes. Critiquer la "simplicité" de son jeu, c'est ne pas comprendre qu'il s'agit de l'essence même du style de musique que le groupe de Detroit jouait : une forme de garage rock primitif qui va à l'essentiel en réduisant les chansons à des portions délicieusement squelettiques.

    Jack White a beau être considéré aujourd'hui comme une sorte de guitar hero en solo, son jeu de guitare avec les White Stripes était rarement virtuose. Il lui fallait quelqu'un capable de tenir un rythme souvent martial tout en occupant l'espace sonore laissé vacant par l'absence de basse. Et c'est exactement ce que Meg White faisait avec ses cymbales, son kick et sa snare.

    Leur complémentarité était parfaite et constituait la magie du duo, qui semblait toujours connecté sur scène comme en studio. Il suffit pour s'en rappeler de réécouter Jimmy the Exploder, le morceau qui ouvre le tout premier album studio éponyme des White Stripes (1999). On entend d'abord un gros drumbeat, avant que la guitare puis la voix de Jack White ne s'en mêlent et que les trois finissent par former une folle cavalcade punk qui pose les bases de leur style.

    Idem deux morceaux plus loin avec la rage furieuse qui se dégage du jeu de batterie de The Big Three Killed My Baby et prouve que Meg White pouvait bien sûr cogner exactement comme il le fallait. L'occasion de rappeler qu'à l'époque encore plus qu'aujourd'hui, la batterie était considérée à tort comme un instrument masculin par excellence, qui nécessiterait soi-disant une grosse paire de testicules pour frapper vite, fort et bien sur des fûts. Une idée reçue totalement fausse dont Meg White a souffert, faisant par exemple l'objet d'une blague assez tristement célèbre dans le film School of Rock (Richard Linklater, 2003), où un personnage s'exclame à son propos : "She can't drum!".

    Rien n'est plus faux. Et au passage, on ne reproche jamais à un artiste masculin la simplicité de son jeu, car personne ne songerait à remettre en question les aptitudes pourtant basiques des stars du punk. On considère en effet que la musique est naturellement la prérogative des hommes, alors que les musiciennes doivent toujours faire deux fois plus leurs preuves pour être acceptées dans un milieu où leur présence est forcément suspecte.

    Mais cette polémique permet aussi de rappeler que la qualité et la postérité d'un artiste ne se mesurent heureusement pas seulement à sa technicité, sinon le rock progressif serait nettement plus célébré aujourd'hui.

    Meg White n'est peut-être pas une batteuse "technique" – et encore, cela se discute car ses parties de batterie ne sont pas à la portée du premier troll venu – mais son jeu minimaliste compte quelque chose de beaucoup plus précieux : un style unique en son genre. C'est ce qu'expliquait Dave Grohl dans une interview – il s'y connaît un peu en batterie – en parlant de celle qui se trouve être la batteuse préférée de sa fille :

    « Si vous l'écoutez pendant 15 secondes, vous savez que c'est elle qui joue, et pour moi, ça a toujours été le mètre étalon. »

    C'est ainsi, Meg White n'en met pas plein la vue techniquement, mais elle donne envie à tout le monde de taper du pied par terre, et elle possède un style brut et viscéral qui n'a jamais été égalé par les batteurs des tournées de Jack White après la séparation des White Stripes, car tous avaient tendance à vouloir trop en faire, allant à l'encontre du crédo du duo.

    On peut même aller plus loin en affirmant qu'aucun des projets ultérieurs de Jack sans Meg (Raconteurs, Dead Weather, solo) n'a fait ressentir au public le même frisson que la musique des White Stripes. Coïncidence ? Probablement pas.

    Et si Meg White est si aimée aujourd'hui, c'est aussi parce qu'il y a chez elle ce petit supplément d'âme insaisissable, ce fameux facteur cool qu'on lui associe, qu'elle soit derrière la batterie ou pas. Personnage public très timide, la batteuse des White Stripes a involontairement forgé sa légende en restant presque toujours en retrait pendant les interviews du duo, laissant la lumière à Jack.

    Mais si elle semblait quasiment imperturbable et terriblement cool sur scène, Meg White souffrait en réalité d'une anxiété sévère qui a conduit à écourter la dernière tournée des White Stripes en 2007. Depuis, le groupe s'est arrrêté en 2011, et elle a totalement disparu des radars – Jack White la qualifie d'ermite – et son silence médiatique alimente là aussi involontairement le mythe dans notre époque de surexposition des artistes.

    Ce n'est qu'une théorie, mais on peut aujourd'hui se demander si Meg White n'a pas abandonné la musique en raison de toutes ces critiques reçues pendant et après sa carrière au sein des White Stripes. En 2002, elle répondait pourtant déjà parfaitement sur son rôle dans une interview avec le rock critic Jim DeRogatis :

    « J’apprécie d’autres types de batteurs qui jouent différemment, mais ce n’est pas mon style ou ce qui fonctionne pour ce groupe. Je reçois parfois [des critiques], et je traverse des périodes où cela me dérange vraiment. Mais ensuite, j’y réfléchis et je me rends compte que c’est ce dont le groupe a vraiment besoin. Et j’essaie juste de m’amuser autant que possible. »

    Dans la même interview, Jack White parlait en ces termes du jeu de batterie de Meg White :

    « Elle est parfaite. Elle est la meilleure partie du groupe, vraiment. Son style est tellement simpliste que je peux travailler autour, et avec. On possède une sorte de télépathie sur scène, où l'on peut simplement lire dans les pensées de l'autre. Si on avait quelqu'un d'autre sur scène, tout serait juste gâché, je pense. C'est vraiment agréable de jouer comme ça. »

    En résumé, sans Meg White, la magie des White Stripes n'existerait pas. On a le droit de ne pas aimer leur style de musique, mais il serait grand temps d'arrêter de dire que Meg White est une mauvaise batteuse. Elle pourrait d'ailleurs bientôt devenir seulement la troisième batteuse de l'histoire à entrer au Rock & Roll Hall of Fame, après Moe Tucker du Velvet Underground et Gina Schock des Go-Go’s, puisque les White Stripes font partie des nommés cette année.

    Mais Meg White n'a pas besoin de ça pour être depuis 25 ans un role model pour plusieurs générations de batteuses, comme la jeune prodige Nandi Bushell, qui vient de reprendre Seven Nation Army en hommage à celle qu'elle considère comme "la personne la plus cool du monde" depuis sa découverte du groupe à l'âge de 5 ans. Que les détracteurs de Meg White fassent donc attention : elle possède une armée de fans dans bien plus que sept nations.

    Et en bonus, voici notre playlist du best-of de Meg White à la batterie des White Stripes :

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