2023 M01 3
L’écoute de nos artistes préférés est l’une des activités les plus réconfortantes possibles. À chaque fois que les premières notes du banger de notre enfance parviennent jusqu’à nos oreilles, notre cerveau fait open bar sur la dopamine.
Pas étonnant donc si lorsqu’ils écoutent de la musique, la plupart des gens préfèrent lancer des classiques à l’efficacité éprouvée, plutôt que de prendre le risque de découvrir quelque chose de nouveau.
Selon une étude menée par Deezer en 2018, cette « paralysie musicale » arrive à partir de 27 ans en moyenne : le travail, les factures à payer, les enfants et plus largement le manque de temps et les tracas de la vie d’adulte font progressivement disparaître toute volonté de faire des découvertes en musique.
Mais au-delà de toutes ces raisons, il y a également une explication biologique à ce conservatisme. À chaque fois que nous entendons quelque chose que notre cerveau ne peut pas rattacher à un modèle déjà enregistré dans notre mémoire, les compteurs s’affolent et une dose trop élevée de dopamine est envoyée, comme l’explique Jonah Lehrer dans son livre Proust était un neuroscientifique (2011).
Autrement dit, en l’absence de référence connue, on a vite fait de qualifier un nouveau morceau de mauvais. C’est aussi ce qui arrive lorsque l’on sort de sa zone de confort pour écouter des genres musicaux que l’on connaît peu ou pas du tout. Bref, c’est une règle générale vieille comme le monde : l’être humain aime ce qu’il connaît, il a peur de ce qu’il ne connaît pas, et il fuit généralement cette inconnue autant que possible.
Et pourtant, ouvrir ses chakras à de la musique que l’on ne connaît pas est positif pour le cerveau, car cela l’oblige à rester actif pour enregistrer sans cesse de nouveaux « modèles » qu'il finira par apprécier avec le temps. Car plus on prend l’habitude d’écouter quelque chose d’initialement perturbant, plus on peut finir par l’apprécier. C’est ce que confirme la très respectée Université Johns-Hopkins :
« Les découvertes musicales mettent incomparablement plus à l'épreuve le cerveau que la musique que l’on connaît. Cela n’est peut-être pas agréable au début, mais cette méconnaissance oblige le cerveau à travailler pour comprendre un nouveau son. »
Il y a quelques années, un article de Pitchfork citait un célèbre exemple historique à l’appui de cette démonstration : les réactions outrées du public lors des premières représentations du Sacre du printemps d’Igor Stravinsky au Théâtre des Champs-Élysées en 1913 à Paris, suivies un an plus tard par le triomphe de ce chef-d’œuvre avant-gardiste.
Cette curiosité musicale oblige donc le cerveau à s’activer dans tous les sens pour enregistrer comme une éponge des tonnes de nouveaux modèles musicaux, ce qui stimule entre autres la mémoire ou le fameux système de récompense et la dopamine qui va avec.
Car selon les recherches de Valorie Salimpoor, docteure en neurosciences et autrice de plusieurs études sur le sujet, le plaisir que l’on ressent à l’écoute est aussi démultiplié lorsque l’on découvre un nouveau morceau qui nous plaît. Tant que le morceau adhère aux modèles que notre cerveau connaît, ce dernier nous fait immédiatement saliver. Dans le cas contraire, cela demande comme on l'a dit un peu de patience.
Mais de manière générale, l’incertitude de ne pas savoir ce qui arrive ensuite procure aussi un boost de dopamine, alors que chacun sait que l’on peut se lasser d’un morceau que l’on a écouté des milliers de fois et qui n’apporte plus le même bonheur qu’au moment de sa découverte. Pour ressentir le fameux frisson de la première fois où on a entendu les morceaux qui ont changé notre vie, il faut donc sans cesse creuser pour dénicher des nouveautés.
Enfin, écouter de nouveaux morceaux est évidemment positif pour notre culture musicale. Il va sans dire que découvrir de la musique que l’on ne connaît pas ouvre l’esprit et permet de comprendre d’autres idées et cultures, mais cela permet aussi de se connecter au contexte présent, pour peu que l’on écoute des artistes actuels, qui racontent tous d’une manière ou d’une autre le monde dans lequel on vit.
Découvrir des artistes du passé est même toujours préférable à une énième réécoute de votre album préféré. Car notre mémoire associe évidemment des morceaux spécifiques à chaque période (événement ou souvenir de la vie) et il ne vous viendrait pas à l’idée de relier Bohemian Rhapsody de Queen aux souvenirs de votre enfance, de votre adolescence, de votre premier job et ainsi de suite, à moins d’envisager votre existence comme une boucle temporelle infernale. Ce qui ressemble davantage à une dystopie de Black Mirror qu’à une vie digne d’être vécue.