2018 M04 17
Quand on demande à Kendrick Lamar quel est le livre qui l’a le plus influencé, la réponse ne se fait pas attendre : « L’autobiographie de Malcolm X a changé ma vie. Elle m’a permis de m’ouvrir à d’autres horizons. » Ce bouquin a été écrit par Alex Haley et publié en 1965, l’année de l’assassinat de Malcolm X. Depuis, il s’est écoulé à des millions d’exemplaires, dont la majorité sont venus garnir les tables de chevets nord-américaines, parmi lesquelles celles de Kanye West, Nas, Drake, Jay-Z ou encore des rappeurs du Wu-Tang.
Dédicaces. Résultat : depuis l’avènement du hip-hop dans les années 1980, plus d’une centaine de références à Malcolm X ont été comptabilisées dans les différents textes de rap. Raekwon, le rappeur du Wu-Tang, dira même que son engagement dans la cause afro-américaine fait de lui « l’un des pionniers pour les Noirs dans le ghetto », puisque Malcolm s’est extrait des affres de la ségrégation, de la criminalité, de la drogue et de la prison afin d’incarner la notion même du changement pour toute une génération. Une sorte de modèle à suivre et ce n’est pas 2Pac qui va le contredire, lui qui a grandi dans le mouvement Black Panther et qui a prononcé un discours en l’honneur de Malcolm X en 1992.
Première rencontre. L’influence de Malcolm X ne se réduit pas uniquement à la diffusion de son autobiographie. Le hip-hop aussi joue un rôle majeur et les relations se révèlent parfois plus étroites qu’on ne pourrait le penser. Dans les années 1960, Paul Winley monte Winley Records, le label qui signera Afrika Bambaataa quelques années plus tard, devenant ainsi l’un des tout premiers labels hip-hop. En attendant cette signature, le label édite de nombreux vinyles dont un projet un peu spécial : le discours complet de Malcolm X « The Ballot Or The Bullet ».
La voix de l’orateur se vendait donc sur vinyles, de la même manière que les premiers albums de hip-hop. En revanche, difficile de se douter qu’une dizaine d’années plus tard, ce même discours serait samplé par plusieurs rappeurs dont Grandmaster Flash dans The Message.
Le premier à avoir utilisé la voix de Malcolm X est Keith Leblanc avec le morceau No Sell Out sorti en 1983. Un succès puisque le son sera classé single de l’année au Royaume-Uni et aux États-Unis. Plus important encore, pour une bonne majorité du public américain, le hip-hop marquera la première rencontre avec Malcolm X. Un constat que dresse Spike Lee en interview avec Antoine Garnier : « Je crois qu’une bonne partie des jeunes Noir(es) ont été introduits à Malcolm X grâce au rap. Des rappeurs tels que Chuck D (Public Enemy) et KRS-ONE en sont responsables. »
Autant dire que le réalisateur est plutôt bien placé pour s’exprimer puisque son film biographique Malcolm X, sorti en 1992 est à l’origine de toute une vague de conversion dans le milieu du hip-hop.
Le projet qui a été monté avec le soutien financier de nombreuses personnalités comme Oprah Winfrey, Magic Johnson ou encore Michael Jordan, a connu un énorme succès auprès de la jeunesse noire, fan de hip-hop et délaissée par l’Amérique post-industrielle. En vulgarisant les idées de Malcolm X et en rendant son histoire accessible, Spike Lee a vu juste au point de sensibiliser une multitude de rappeurs comme Public Enemy, Ice Cube, Ice T ou encore le Wu-Tang, tous très influencés par l’histoire de Malcolm X.
De l’autre côté de l’Atlantique. Dans le rap français, de nombreuses références sont également éparpillées un peu partout, que ce soit dans les textes de Youssoupha dans Black Out ou Nekfeu dans Laisse Aller : « Après la haine vient la paix, comme El-Hajj Malik El-Shabazz [son vrai nom] » ou encore sur les pochettes d’albums à l’image de « Ouest Side » de Booba.
Ce n’est pas pour rien que de nombreux rappeurs francophones reconnaissent avoir été grandement influencés par Malcolm X. Fabe par exemple : « C’était le constat d’un homme de terrain. Il avait compris, pour résumer ses paroles, que la vie en marge de la société, de la façon dont il la vivait et que certains considèrent comme une vie de rebelle, n’était rien d’autre qu’une place qui lui était réservée et dont on ne voulait pas qu’il bouge. »
Le problème dans l’Hexagone, c’est que son autobiographie n’est plus traduite ou publiée depuis 1992. Avec le temps, elle a donc fini par devenir compliquée à trouver, un problème auquel Disiz compte bien remédier puisqu’il a entrepris de lancer sa réédition en 2015. Un projet qui s’est révélé compliqué et fastidieux.
En revanche, preuve de son importance dans le rap français, Disiz a tout de même réuni une foule de rappeurs comme Kery James, Mac Tyer, Youssoupha, Lino ou Médine le temps d’un concert hommage à l’occasion des 90 ans de Malcolm X. Encore l’année dernière, Médine signait la préface du livre Sans lutte, il n’y a pas de progrès, une biographie écrite par Jonathan Demay et un sujet que le rappeur connaît bien puisqu’il en parlait déjà en 2005 dans son morceau Du Panjshir A Harlem. En revanche, on a beau chercher mais on n’a toujours pas trouvé une seule référence à Malcolm X dans les textes de Jul. Comme quoi…