Ces concerts qui ressemblent déjà à des meetings politiques

C’est le grand retour en arrière. Le 27 décembre, le gouvernement a de nouveau interdit les concerts debout, et placé une jauge sur ceux confirmés en mode assis. Une chose est particulièrement mal passée : les meetings politiques seront exonérés de ces contraintes. De quoi faire ironiser des musiciens, prêts à transformer leurs spectacles en meeting. Et pour certains, on y est déjà presque.
  • Faire un concert a toujours une portée politique. C’est le cœur de la plaisanterie faite par plusieurs musiciens français face aux récentes annonces sanitaires. Alors que les concerts debout sont annulés, des chanteurs comme Hoshi, Grand Corps Malade, Julien Doré ou Eddy De Pretto ont rapidement ironisé sur le fait que les meetings politiques puissent se tenir normalement. La solution était toute trouvée : présenter leurs concerts comme étant des meetings.

    Si cela reste avant tout une tentative de rire (jaune) face à cette situation frustrante, on pourrait penser que certains musiciens ne sont pas loin de déjà fusionner concert et meeting.

    Le cas le plus évident est sûrement celui de Massive Attack. Le groupe de Bristol n’a jamais masqué ses engagements très à gauche, et, depuis plusieurs années, leur live est devenu une véritable tribune politique. Leur musique est ainsi accompagnée de nombreux éléments visuels, au message toujours très direct. Cela peut être des vidéos de migrants, afin de critiquer la politique européenne sur le sujet, ou encore un hommage aux victimes du Bataclan. Car chaque show possède des messages dans la langue du pays visité. S’il ne va pas jusqu’à prendre position pour un parti ou une personnalité, le groupe n’a pas peur d’afficher frontalement ses opinions, même les plus radicales.

    D’autres jouent la carte de l’ironie, quitte à faire grincer des dents. C’est le cas de SebastiAn, du label Ed Banger. L’une de ses premières formules live, en 2011, jouait avec les codes du meeting politique pour en livrer une version déformée, grinçante, et assez dérangeante. En plus de son électro torturée (dont une reprise tordue de la Marseillaise), on pouvait y voir un drapeau français laissant place à des slogans sombres (« abus, privation, mensonge, trahison », suivi d’un grinçant « SebastiAn président »). S’ensuivent des images violentes, ainsi que des vidéos de vrais meetings, et une ambiance crypto-fasciste qui en a dérangé plus d’un. Si l’ironie est évidente, certains n’y ont vu qu’une posture cynique, et au fond assez vaine. Reste qu’il n’a laissé personne indifférent. À l’inverse d’autres musiciens.

    Car nombre d’entre eux se servent de la scène comme canal politique, le temps d’une tirade bien sentie. Loin de nous, on pense évidemment aux Allemands de Kraftwerk, et récemment, on pourrait penser à Beyoncé. Lors du concert «One World: Together at Home », enregistré à distance pendant le confinement, elle a choisi de ne pas chanter, pour délivrer un discours face à la caméra. L’artiste, qui a toujours montré sa sympathie au mouvement Black Lives Matter, pointe notamment que « la communauté afro-américaine a été, dans son ensemble, sévèrement touchée par la crise. Le virus est en train de tuer les personnes noires à un rythme alarmant aux États-Unis ». Le message est salutaire, et cela reste bien moins gênant que David Guetta. Mais cela reste assez ponctuel et superficiel.

    Au fond, la politisation des artistes reste souvent assez sage, se bornant à un message humaniste. Tant mieux, au fond, car ce n’est pas ce que l’on attend d’eux. Mais certains artistes sont prêts à ne pas faire ce qu’on leur demande. La France, et sa tradition de chanteurs contestataires (de Léo Ferré à... Damien Saez) reste à part. Même Téléphone s’était essayé à la provoc’ politique en 1979, arrivant à la fête de l’Huma avec des masques à l’effigie d’hommes politiques. Mais en terme de show, les États-Unis restent en avance. On peut par exemple penser aux prestations de Frank Zappa, donnant parfois lieu à de véritables sketches surréalistes et satiriques. Politiques, évangélistes, républicains, communistes, hommes d’affaires… Tout le monde y passe. En plus d’être militant de la liberté d’expression, le musicien voulait même être candidat à l’élection présidentielle de 1991, avant d’en être empêché par le cancer qui l’emportera deux ans plus tard.

    Enfin, on peut citer les précurseurs du punk MC5. Portée par le contexte de la contre-culture hippie, la formation de Detroit s’inspire directement des thèses des Black Panthers, leur manager John Sinclair allant jusqu’à fonder les White Panthers. Sous son influence, le groupe arrive sur scène armé de fusils, et le concert s’achève par la mort symbolique du chanteur, tué par un sniper, afin de dénoncer la guerre du Viêt Nam. Le groupe est également connu pour avoir joué huit heures durant en marge de la Convention Démocrate de Chicago en 1968, des émeutes empêchant les autres musiciens prévus de rejoindre la scène. Parce qu’un meeting peut aussi être sauvage.