2022 M04 20
54 ans. Voici le nombre d’années qui se sont écoulées depuis que Brigitte Fontaine a sorti son premier album, « Brigitte Fontaine Est... Folle », en 1968 donc. Pour être exact, et même si Madame n’a guère d’affection pour son vrai premier disque comme on peut lire sur cet article du Monde, ses réels débuts se sont opérés lorsqu’elle a révélé « 13 chansons décadentes et fantasmagoriques » deux ans plus tôt, en 1966. Depuis ce jour, ce « trésor national », comme la surnomme Arthur H dans les colonnes du JDD, aura sans cesse fleuri une discographie longue de 19 albums, tous aussi marquants, voire marqués, les uns que les autres.
Des disques qui l’auront amené à tourner comme une toupie pour les défendre, lors d’un nombre difficilement estimable de concerts. Mais ce 20 avril, à presque 83 printemps, c’est celui de Bourges qui accueillera sa dernière danse sur les planches. Attention, ne lui parlez pas d’adieux. Au micro de RTL, quand elle a entendu ce mot, Brigitte Fontaine a fait du… Brigitte Fontaine : « Ils disent que c’est mes adieux à la scène mais rien du tout ! Je m’en fous, moi. C’est complètement cucul et con. […] Il n’y a que des mensonges dans cette histoire, y compris que je suis une immense artiste ».
Pour ne pas aller à l’encontre de sa volonté, nous dirons simplement ici que la « Reine des Kékés » — surnom hérité de son disque « Kékéland » (2001) — est depuis presque une soixantaine d’années une authentique avant-gardiste. Elle fut protopunk sur son album « Comme à la radio » (1970), qui lui valut d’ailleurs une étonnante admiration de l’archipel nippon. Avant que le mouvement « officiel » n’existe, la chanteuse s’était déjà muée en féministe excentrique. Des idées qu'elle faisait retentir lors du disque « Vous et nous » (1977), enregistré en duo avec Areski Belkacem, son âme sœur de toujours. Concernant l’autre homme de sa vie, son frère le défunt Jacques Higelin, elle croisait la plume et la voix le temps de composer leurs « Chansons d’avant le déluge ».
Amoureuse de sons originaux, elle a expliqué sur un air oriental comme Le Nougat était succulent (« French corazon », 1988), avant de rencontrer Sonic Youth à l’orée des années 2000 pour narrer les errements d’une Demie clocharde. À la force de l’âge, elle a dénoncé la mise à l’écart des seniors, notamment sur le plan sexuel, en réaffirmant avec « Prohibition » (2009) son droit à « baiser, boire et fumer ». Et finalement, sans surprise, sur son dernier disque « Terre Neuve » paru en 2020, Brigitte Fontaine aura été un peu de tout ça à la fois.
On pourrait aussi évoquer les films où l’on a pu voir sa « silhouette de sirène » et « son look de libellule ». Comme Le Grand Soir (2011), long métrage réalisé par la paire Gustave Kervern et Benoît Delépine. À ce propos, ils ont raconté au JDD leur rencontre avec celle qu’ils surnomment « la dernière des punks » :
« Pour nos films, nous sommes toujours à la recherche de gens singuliers. Au moment de préparer Le Grand Soir, nous étions tombés sur une interview hallucinante d’elle, qui tournait le dos au journaliste, regardait le plafond dans un silence pesant… On s’est dit : il nous la faut ! Elle devait incarner la mère d’Albert Dupontel et Benoît Poelvoorde, mais elle n’était pas intéressée. Elle voulait jouer “une sorcière qui fume dans une forêt”. On lui a donc renvoyé le même scénario avec une seule modification : elle n’était plus “la maman” mais “la sorcière qui fume dans la forêt”. Notre sens de l’humour lui a plu, et elle a accepté le rôle ! »
Logiquement, Kervern et Delépine seront à Bourges pour accompagner Brigitte Fontaine et chanter ensemble C’est normal. À leurs côtés, lors de cette « Closing Night » qui maintenant s’appelle « Fucking Night », seront aussi présents, Béatrice Dalle avec qui elle est « un peu pote », Philippe Katerine et Arthur H qu’elle « aime beaucoup », ou encore Rebeka Warrior et l’actrice Anna Mouglalis, avec qui elle est un peu moins tendre, comme elle a expliqué à l’AFP : « On dit que j’ai choisi des gens que j’aime beaucoup, mais je ne les connais pas, voilà comment ça commence et comment ça finit, je ne sais pas si cette soirée aura lieu me concernant, les autres seront là ». Si la chanteuse émet une réserve quant à sa participation à son propre événement, ce n’est pas par pure mégalomanie délirante.
La seule raison qui pourrait l’empêcher de se produire sur la scène de Bourges — qui justifie sans doute aussi son retrait des planches —, c’est cette maudite fracture des vertèbres qui la fait « atrocement souffrir » depuis maintenant 8 ans, a-t-elle dit au JDD. À l’inverse, elle n’a pas prévu de s’arrêter ni d’écrire ni de chanter. Selon ses propos, un nouveau long serait même dans les tuyaux et l’un des invités de mercredi soir serait également directement concerné : « Jarvis Cocker (ex-leader de Pulp), lui, j’y tenais, il va certainement participer à mon prochain disque, tout comme Thurston Moore ». Partir pour mieux revenir ? Seul l’avenir le dira.