2020 M07 11
Pour comprendre l'arrivée du Berghain en 2004, il faut remonter à 1998. À l'époque, les nuits berlinoises renouent avec l'underground grâce au Ostgut, un club gay où les nuits semblent ne jamais se terminer. Et quand c'est le cas, les afters sont là pour permettre aux clubbeurs de prolonger ces moments d’extase. L'euphorie durera cinq ans : en 2003, le Ostgut est contraint de fermer et Michael Teufele, son patron, obligé de chercher un autre lieu à investir. Ce sera du côté d'Alexanderplatz, dans une centrale électrique désaffectée au beau milieu d'un terrain vague.
L’architecture est germanique - c’est un bloc de béton massif de 18 mètres de haut, quoi -, l’espace incroyablement vaste. Si bien que l’entrepreneur allemand décide d’ouvrir deux clubs. Le premier se nomme Panorama et est situé à l'étage ; le second n'est autre que le Berghain, véritable temple de la techno où les DJ résidents, Ben Klock et Marcel Dettmann, se lancent rapidement dans des mix de huit ou douze heures. Une certaine idée du clubbing, en quelque sorte.
Dans le sillage du Berghain, d'autres boites de nuit émergent (Watergate, le Club Der Visionäre, Bar 25, Badeschiff...), tous en quête d'alternatives et d'une célébration frénétique, radicale et nihiliste du temps présent. Les clubbeurs européens s'amassent alors dans la capitale allemande, mais que l'on ne s'y trompe pas, c'est bien le Berghain qui incarne le mieux ces nuits qui s’étirent bien au-delà du petit matin. « On avait enfin l'impression d'avoir retrouvé un lieu à la hauteur de la débauche de la nuit, une sphère de l'excès coupée du dehors, un lieu de célébration, le meilleur de tous les temps, écrivait le blogueur Airen dans son livre Strobo, paru en 2009. On retournait dans le club avec la conviction absolue de vivre aujourd'hui la fête de sa vie. D'ailleurs on n'allait plus ailleurs. Du jour au lendemain, il n'y avait en fait plus de club qui aurait pu valoir la peine de ne pas aller au Berghain. C'était la drogue la plus dure de la ville. »
Le propos est enthousiaste, et on le comprend : le Berghain n'est pas seulement ce lieu qui a été élu à plusieurs reprises « meilleur club du monde », c'est aussi un club qui a aujourd'hui le droit à sa reproduction Minecraft, qui est devenu un lieu de passage pour tous les touristes en goguette et qui suscite de véritables débats sur les Internets. À tel point que l'on ne compte plus le nombre de posts sur les forums offrant des conseils pour assurer aux néophytes leur entrée dans la boite : « s'habiller en noir », « ne pas sourire », « faire semblant d'être gay », « ne pas prendre de photo ».
Avec le temps, un e-book a vu le jour (How To Get Into Berghain), promettant à tous ses lecteurs d'entrer à tous les coups au Berghain. Mais la vérité est que le mystère reste entier : « Ce qui se passe au Berghain reste au Berghain », dit même le slogan. Et ça, à l'heure des smartphones à tout-va, ça n’a rien d’un mince exploit pour un club qui accueille plus de 3000 personnes chaque week-end, toutes attirées par ce lieu où la nuit dure jusqu'au lundi matin, où l'acoustique donne l'imrpession d'être pénétré par le son, où le dancefloor est dépourvu de miroirs afin de rompre le plus efficacement possible avec le monde extérieur, et où le line-up accueille les meilleurs DJ du monde. Ou simplement en passe de le devenir.
C'est là toute la puissance du Berghain : avoir su développer une image puissante qui lui permet de traverser les années sans véritables remous - là où de nombreux clubs ont fini par fermer leur porte -, de créer un label maison (Ostgut Ton) et de continuer à incarner une sorte de refuge pour les amateurs de techno qui ont trouvé un lieu où épancher leur hédonisme et mettre en pause le temps présent.