Pourquoi le futur de la chanson française s’appelle peut-être Zaho de Sagazan ?

Choisie pour occuper cinq soirs de suite la très prescriptrice case « création » des 44ème Rencontres des Trans Musicales de Rennes, Zaho de Sagazan, 22 ans au compteur, nous a prouvé qu’une autre chanson française était possible. On a pensé à Stromae, à Kraftwerk, à plein d’autres choses plus ou moins « legit » à insérer dans une chronique musicale. Mais la vérité, c’est qu’on n’était surtout pas préparé à vivre l’acte de naissance scénique d’une future grande artiste. Coup de cœur ? Oui.
  • Plutôt que de vous parler de ses influences, des albums qu’elle aurait pu absorber pendant la sacro-sainte adolescente, on préfère vous planter le décor avec l’image suivante. Imaginez partir en soirée techno, dans les profondeurs de la nuit berlinoise, avec un Jacques Brel et une Edith Piaf qui viendraient de découvrir la puissance envoûtante des musiques électroniques. Totalement inattendu et agréablement surprenant, mais surtout irrésistiblement entraînant.  

    La voir sur scène, c’est donc accepter de plonger avec elle, tête la première, dans un lâcher-prise total. Un pacte faustien qui commence dès les premiers titres. Flashs de lumière, la silhouette de Zaho apparaît, dessinée par un blazer taille XXL. Se dévoile une voix puissante, profonde, marquée par une diction bien travaillée, accompagnée de deux complices, Alexis Delong aux synthés et Tom Greffray à la batterie, qu’elle présentera avec humour comme ses « deux gigolos ». Depuis leurs plateformes situées aux deux extremités de la scène, ils l'enveloppent de nappes électroniques donnant aussi bien envie de taper du pied que de planer les yeux fermés.

    Chaque chanson la dévoile un peu plus. Le texte est littéraire, parfaitement affûté. Et les histoires qui s’en dégagent souvent tristes, aux antipodes de l’espièglerie qu’elle affiche aux moments de les introduire. Elle raconte le diktat des corps parfaits et sa réconciliation avec le sien, une fascination proche de l’amour pour un inconnu à qui elle n’a jamais osé adresser la parole, et aussi l’enfance d’une jeune fille qu’on devine sensible et agitée dans une très jolie chanson, intitulée « La symphonie des éclairs ». Une mise à nu progressive qui, bien qu’elle sonde les recoins sombres de son adolescence, prendra graduellement des allures d’exutoire heureux.  

    Après avoir frissonné durant ses interludes piano-voix, Zaho prend le pari de transformer la salle de théâtre en club techno. « Dansez ! Dansez ! … » scande-t-elle, emmenée par des boucles électro nerveuses. D’abord timide, le public finit par quitter ses fauteuils rouges. Les articulations se dérouillent, les corps commencent à timidement chalouper. Pari réussi. C’était pourtant pas gagné, au vu de la faune locale, composée pour beaucoup de professionnels de la musique à la patience proche de zéro, mais bien loin de se douter qu’ils allaient finir par clubber un samedi à 22h30. 

    Inutile, donc, de vous préciser que l’exercice est relevé haut la main. Répété sur scène cinq soirs de suite, le créneau « création » est davantage un tremplin qu’une occasion de ravir les oreilles des Rennais. C’est d’ailleurs par cette étape que sont passés des artistes comme Philippe Katerine, Stromae, ou encore Jeanne Added. Et si Zaho avait déjà eu l’opportunité d’atteindre le public par le passé - première partie des Zénith de Juliette Armanet, tournée de festivals en case révélation - il y a de fortes chances que l’acte de naissance scénique retenu soit celui-ci.

    Reste maintenant à déterminer le moment qu'aura choisi cette originaire de Saint-Nazaire pour se dévoiler au grand public. Quelque chose nous dit que ce n'est plus qu'une question de mois, puisqu’un premier album est prévu pour 2023, et un Trianon 18 avril.

    Crédit photos : Jérémy Authier pour Jack.

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