35 ans après, la véritable histoire de l'insupportable "We Are The World"

Enregistré le 28 janvier 1985 et sorti moins de deux mois plus tard, le 7 mars, « We are the World » est un hymne universel, un morceau culte réunissant 46 artistes le temps d’une soirée. Et, forcément, certains étaient moins impliqués que d'autres.

L'histoire de We are the World est d'abord celle d'une pancarte. Celle posée par Quincy Jones à l'entrée des studios A&M à Los Angeles le 28 janvier 1985, quelques heures après la cérémonie des American Music Awards : « Faites attention à vos égos en passant la porte. » Il faut dire que les quarante-six plus grands artistes américains se réunissent et que le concours pour savoir qui a la plus grosse collection de disques d'or aurait pu être facile. Or, là, ça fait deux ans que le chanteur Harry Belafonte a l'idée de ce morceau censé lever de l'argent pour l'Éthiopie, où près d'un million de personnes sont mortes de faim. Les mecs n'ont qu'une nuit pour l'enregistrer, alors autant ne pas déconner. Ce qui explique sans doute pourquoi chaque artiste a sa place, marquée sur le sol, où il doit rester le temps du refrain.

À la base, tout est allé très vite. Il y a bien eu quelques rebondissement, notamment le départ de Stevie Wonder, finalement trop occupé pour se consacrer à l'écriture. Mais le morceau prend rapidement forme entre les mains de Michael Jackson, Lionel Richie et Quincy Jones, engagé à la production. En une semaine, les trois compères, enfermés dans la maison familiale du roi de la pop à Los Angeles, tiennent leur hymne. En vrai, ils en ont même deux. Deux mélodies de Lionel Richie que Jackson s'empresse de compléter en ajoutant des arrangements et des paroles. « J'aime travailler vite. J'ai avancé sans même que Lionel ne le sache. Je ne pouvais pas attendre. Je suis entré et ressorti la même nuit avec la chanson terminée : batterie, piano, cordes et les paroles pour le refrain. »

Ne manquait plus que le casting. Et là, tout le monde semble avoir répondu présent : Ray Charles, Billy Joel, Cyndi Lauper, Paul Simon, Tina Turner, Diana Ross, Bruce Springsteen et même Bob Dylan, qui semble clairement se demander ce qu'il fout là au moment d'enregistrer le refrain.

Voir un Dylan aussi paumé dans les studios qu'un Michel Drucker dans un concert de hip-hop n'est pas le seul moment marquant de la soirée. Pensons à Stevie Wonder qui se plante lors des répétitions (ce qui arrivait rarement, visiblement), à la rencontre entre Billy Joel et Ray Charles, qui enregistrent un duo l'année suivante, à Bruce Springsteen qui privilégie son pick-up aux grosses limousines pour arriver dans les locaux, à Willie Nelson qui enquille les verres ou encore à la présence de quelques prestigieux invités, dont Brooke Shields, Jane Fonda, Kareem Abdul-Jabbar et Steve Martin.

Deux stars manquent véritablement ce soir-là : Madonna et Prince. Ce dernier aurait bien voulu jouer de la guitare sur le morceau, mais Quincy Jones n'était pas d'accord. Alors le Kid de Minneapolis a préféré décliner. Selon le guitariste Alan Light, « il trouvait que la chanson était horrible ; il ne voulait pas être à côté de tous ces  'enculés' ». Ça, c’est dit... Quoi qu'il en soit, We are the World est un immense succès. Un véritable hymne, pensé comme tel par ses auteurs, et voué à devenir culte. En trois jours, les 800 000 exemplaires initialement produits sont écoulés. Un record dans l'histoire de la pop américaine.

Quelques mois plus tard, We are the World devient le single le plus vendu au monde (soit plus de 20 millions d'exemplaires) et récolte plus de 63 millions de dollars pour l'aide humanitaire en Afrique et aux États-Unis. Quant à l'album, il s'écoule à 12 millions de copies. Au tracklisting, il y a bien le titre que Prince avait promis d'envoyer (4 The Tears In Your Years), mais qui se souvient réellement d'un autre morceau que We are the World ? Ce morceau, né dans la nuit du 28 janvier 1985, pour lequel Bruce Springsteen continue de refuser les lauriers : « Quand quelqu’un vous demande une nuit de votre vie pour empêcher que des gens meurent de faim, vous ne pouvez pas dire non. » Comme quoi, il a bien retenu le message affiché ce soir-là par Quincy Jones.