2020 M05 13
Le pari est risqué. En coulisses, on se demande comment Gorillaz va pouvoir renouveler le succès de son premier album éponyme, sorti en 2001 et écoulé à 6 millions d’exemplaires. On s’interroge également sur le départ de Dan the Automator, qui confie sa casquette de producteur à Danger Mouse. Il suffit pourtant d’entendre les premiers singles envoyés en éclaireur (Feel Good Inc., Dirty Harry) pour constater que la musique de Damon Albarn et consorts n’a rien perdu de sa superbe. Elle a même gagné en ampleur, en profondeur et en noirceur. « C’est un album très sombre, expliquait Damon Albarn aux Inrocks. Le message est clair, très pessimiste. Comme les textes. J’étais obsédé par cette idée selon laquelle le monde est devenu moins innocent ces derniers temps. Cet album est donc assez dur. C’est comme la dernière nuit d’hédonisme d’un être humain, remplie de hauts et de bas ; le matin, il est simplement soulagé d’être encore en vie. »
Au-delà de ses sujets de fond, de ses invités (De La Soul, MF Doom, Roots Manuva, Neneh Cherry) et de sa faculté à faire valser les étiquettes (hip-hop, pop, électro, rock, tout est là), « Demon Days » est aussi une incroyable œuvre visuelle. À commencer par cette pochette, où le quatuor cartoonesque s'affiche de profil, comme un hommage au dernier album des Beatles, « Let It Be ».
Côté référence, Dirty Harry se pose là. Parce que le titre est un clin d'œil à L'Inspecteur Harry, l'un des classiques de la filmographie de Clint Eastwood. Et parce que la cover du single est un hommage à celle de Full Metal Jacket.
« Rien ne me fait plus plaisir que de remettre Shaun Ryder au top des charts anglais. » Quel symbole que de voir Damon Albarn collaborer avec l'ex-leader des Happy Mondays. Mais le vrai coup de force de l'Anglais est surtout d'avoir demandé à Shaun Ryder de venir jouer le rôle d’une tête gigantesque dans le clip de Dare, alimenté par tout un tas de références aux films d'horreur (The Ring, notamment).
On peut se dire que Gorillaz ne serait probablement pas aussi enthousiasmant si la formation ne multipliait pas les clins d'œil à la pop culture. On peut également se dire, et c'est tout aussi juste, que la musique des Anglais n'aurait pas la même puissance si elle n'était pas accompagnée de clips aussi narratifs, à voir comme une succession d'histoires liées entre elles. Comme sur El Mañana, qui n'est finalement que le prolongement du récit entamé sur Feel Good Inc. Et qui termine de faire de « Demon Days » une œuvre majeure du paysage pop des deux dernières décennies.