2021 M03 12
Avril 2020 : dans un entretien qu'il nous accordait en plein confinement, Arthur Teboul confiait avoir envie d’« errer dans un état contemplatif », d’appréhender la vie autrement pour éviter l’angoisse de ce quotidien soudainement contrarié. Onze mois plus tard, l'époque est toujours aussi incertaine, l'envie de fuir la routine n'a peut-être jamais été aussi forte, mais nul doute qu'un album tel que « Palais d'argile » puisse rendre le quotidien légèrement plus supportable.
En cause ? Ces textes moins théâtraux (et donc moins surjoués) que par le passé, ces questionnements existentiels (« Un monde nouveau/On en rêvait tous/Mais que savions-nous faire de nos mains ? ») et cette façon qu'a le quintet d'exposer toutes ses obsessions musicales : de la débauche électronique de Laurent Garnier à la chanson lettrée de Léo Ferré, du post-punk synthétique de LCD Soundsystem aux structures labyrinthiques de Talking Heads. Autant d’éléments qui contribuent à alléger l'univers de Feu! Chatterton, à le rendre plus digeste, plus ludique. Plus dansant également.
Il faut dire que les cinq trentenaires ont parfaitement su s'entourer pour « Palais d'argile ». Au casting, on retrouve ainsi l'ingénieur du son d'Einstürzende Neubauten (Boris Wilsdorf) et Nk.f (Damso, PNL, Niska, Angèle, etc.), tandis que la production est assurée par Arnaud Rebotini (Black Strobe, 120 battements par minute), avec qui le groupe s'est enfermé plusieurs semaines en juillet dernier au sein du mythique Studio ICP de Bruxelles.
« Nous sommes allés chercher chez lui cette poésie des circuits qui chauffent, poétise Arthur Teboul dans une interview aux Inrocks. En sus de nous prêter une partie de sa collection de synthés analogiques, Arnaud connaissait notre goût pour l'exploration de directions musicales variées : la soul, le rock progressif, la chanson. Avec un parc d'instruments volontairement limités à sa demande, nous avons gagné une unité de son à laquelle on aspirait depuis tant d'années. »
L'apport d'Arnaud Rebotini est indéniable, mais « Palais d'argile » est loin d'être un simple disque festif, malgré son approche joueuse, ses débordements et sa liberté formelle. C’est un disque qui accepte également l'accalmie lorsque surgissent des émotions contrariées. Avec, toujours, cette beauté dans le texte, cette façon toute singulière de prononcer chaque mot, cette facilité avec laquelle Arthur Teboul parvient à résumer des sentiments complexes en une formule lapidaire, aussi simple que cinglante : « Le sens des choses nous échappe/Comme l'eau dans la main/Laissons venir ».
On ne sait pas encore si « Palais d'argile » connaîtra le même succès que « L'oiseleur » et « Ici le jour (a tout enseveli) » (deux disques d'or, deux nominations aux Victoires de la musique). Tout ce que l'on peut affirmer, c'est que ce troisième album éloigne cette bande de potes des critiques parfois émises à leur égard (la démarche intello, le côté très parisien, etc.) pour tendre vers une musique qui malmène les hanches en même temps qu'elle déploie une galerie de personnages (un musicien raté, un cyborg, etc.) qui continuent de squatter la mémoire vive une fois l'écoute terminée.
Cristaux liquides, La mer et Avant qu'il n'y ait le monde sont donc autant de moments forts au sein d'un disque ambitieux, aussi euphorique que plombé. Il y a d'un côté ces textes empoisonnés par le spleen et la certitude du dérisoire. De l'autre, ce désir d’aller à l’encontre de L’homme qui vient, cette envie de Crever l'écran à travers des mélodies qui aspirent à la lumière. À l’optimisme. À Un monde nouveau.