2023 M03 17
Depuis longtemps déjà, Flavien Berger possède une fascination pour l’au-delà. Pour son deuxième EP en 2014, « Mars Balnéaire », on était sur la planète rouge : « j’aime Mars pour sa lumière, pour toutes les choses que je peux y faire, me baigner dans les cratères sous la tempête de poussière ». Presque dix ans plus tard, au moment d’entamer l’enregistrement de « Dans cent ans », son troisième album studio fait à la maison, l’Ovni de la pop française se fascine pour une œuvre, Un appartement sur Uranus, un ouvrage de Paul B. Preciado. Et même s’il y a un peu moins de 2,3 milliards de kilomètres qui séparent la planète Terre d’Uranus, à mi-chemin, il y a Flavien Berger, qui flotte dans l’espace musical à contre-temps, à contre-courant, comme s’il était la liant entre la vie réelle et l’au-delà.
Juste avant de s’atteler à « Dans cent ans », Flavien a travaillé au Canada avec Pomme pour l’aider à mettre en boîte « Consolation » sorti en 2022.
« Je me suis vraiment mis à faire ce disque au sortir de la co-réalisation de l’album de Pomme. Je ne m’étais jamais vraiment occupé de la musique de quelqu’un d’autre pendant autant de temps. J’avais donc très envie de me reconfronter à la mienne. J’avais des idées. Ça a été productif. », explique le Français dans cette interview pour Focus Vif.
En l’espace de six mois, dans sa maison en travaux, Flavien imagine ainsi la fin de sa trilogie. « Léviathan » parle d’un monstre. « Contre-Temps » explore la matière temps. Et « Dans cent ans » est centré sur l’avenir mais aussi sur les mystères. Une virée narrative et musicale qui lui permet de donner sa propre vision de la pop dans un format album qui lui sert de terrain d’exploration.
Un terrain sur lequel on peut aussi bien retrouver des titres de 2 minutes (Jericho) que des odyssées de 15 minutes (Dans cent ans), des morceaux répétitifs qui s’accélèrent (Berzingue), des expérimentations synthétiques en mode vaisseau spatial (666666), des tubes tout doux (D’ici là, Feux Follets) et des objets non identifiés à ce jour (Soleilles, Étude sur voix mmxxii).
Sur « Dans cent ans », Flavien Berger prend le temps d’installer une ambiance (on est au calme à la maison à moitié endormi sur le point de sombrer et de rêver) et de placer l’auditeur dans un siège. Le film est sur le point de commencer, les lumières se tamisent. Et D’ici là marque le décollage avec un morceau qui semble parler d’une rencontre imaginaire.
Berzingue (un mot d’argot pour signifier la vitesse) matérialise ce décollage. C’est brinquebalant, ça fait cling cling cling (40 fois), mais une fois passé cette étape, le voyage sera plus tranquille. Jericho est apaisant, comme si on faisait l’étoile de mer dans un océan de nuage et Soleilles, d’une délicatesse rare en musique, ne laisse aucun doute : Flavien Berger est serein. Pied-de-Biche, inspiré par cet outil qu’il a récemment découvert en retapant sa baraque, s’incruste dans l’album, comme si tout était normal. Flavien Berger :
« C’est une chanson qui fait état de ma joie à découvrir un objet. Comme j’ai pu être très heureux de découvrir la fête foraine. C’est aussi simple que ça. Un pied-de-biche, quand on l’utilise, c’est super. C’est un outil qui me fascine. C'est un outil que j’ai vu ma mère utiliser et que j’ai pu trouver puissant dans l’art contemporain ».
Au moment d’arriver à Dans cent ans, la pièce maîtresse de 15 minutes de ce disque, le Français a déjà réussi son coup. Il a déjà gagné.
Le Français prend donc un risque : celui de perdre son audience, et de perdre ce qui pour l’instant fait la réussite de cet album, à savoir un équilibre dans la voix, dans les harmonies, dans les intentions, dans les mots choisis, dans la forme des chansons. Au final, cette longue composition aux airs médiévaux qui commence doucement, s’accélère, prend des chemins de traverse puis redescend fait office d’un énorme interlude. Comme si elle marquait la fin d’un chapitre. Mais pourquoi l’avoir placée ici et non à la fin pour clôturer l’album ? Surtout que les dernières paroles de ce titre, comme pour marquer un point final, sont : « Lévianthan, Contre-Temps, Dans cent ans. ».
Car après, le Français repart de plus belle, avec Feux Follets, le single de l’album. Un morceau nonchalant qui montre aussi l’évolution musicale de Flavien Berger, lui l’ancien fan de Suicide et Kraftwerk, qui réussit ici comme les Daft Punk sur « Random Access Memories » à sublimer la musique électronique pour l’élever dans une sphère supérieure. Pour la faire jouer dans la cour des très grands, aux côtés des artisans de la pop, ceux qui sont parvenus à créer des ponts tellement solides entre les styles qu’ils ont fini par inventer le son de leur époque. Si les deux derniers morceaux de l’album sont dispensables — on lui pardonne — Flavien Berger termine ici sa trilogie comme un marathonien une course, à petite foulée, dans le bon tempo et sûr de lui. Avec en prime, une sacrée longueur d’avance sur la concurrence.
Crédit photo : @Isabella Hin