2023 M02 24
Indéniablement, Damon Albarn est extrêmement talentueux. Peut-être même l’un des musiciens les plus doués de sa génération, à l’aise dans tous les styles, avec tout le monde, capable de créer des ponts entre les musiques à lui tout seul avec une sérénité défiant toutes épreuves. Mais depuis l’annonce de « Song Machine » (2020), Gorillaz est partout. Le duo squatte l’actualité musicale : annonce de clips, de featuring ou de singles — ici cinq morceaux sont sortis avant l’album, qui comporte dix titres — sans compter la nouvelle génération qui affiche son amour pour le groupe (Billie Eilish, Slowthai, etc.). C’est mérité. Mais ça fait beaucoup. Peut-être un poil trop, au point de perdre l’excitation liée à la sortie d’un nouvel album. Les questions : Gorillaz est-il toujours aussi innovant qu’avant ? Leur musique est-elle toujours aussi excitante ? Le groupe est-il toujours au niveau, 22 ans après ses débuts ? Les réponses : oui, oui et oui.
Les réponses à toutes vos questions se trouvent dans « Cracker Island ». Le groupe peut-il continuer d’amener des immenses artistes pop hors de leurs zones de confort ? Les réponses s’appellent Oil (avec Stevie Nicks de Fleetwood Mac qui chante comme un robot), New Gold (avec Kevin Parker et Bootie Brown sur un hymne rassurant entre hip-hop à l’ancienne et délires électroniques vaporeux), Cracker Island (un morceau nerveux, fiévreux et ultra pop avec Thundercat), Tourmenta (du reggeaton façon Gorillaz) et Possession Island (une douceur, avec Beck). Mention spéciale pour Silent Running, une ode aux eighties (Duran Duran, Orchestral Manoeuvres in the Dark) en collaboration avec Adeleye Omotayo, un choriste proche du groupe depuis 2017, qui joue des coudes entre la synth-pop et les Daft Punk sous codéine.
Gorillaz est-il quand même capable de gérer en solo sans l’aide de popstars mondiales ? Oui, puisque Skinny Ape, Baby Queen et The Tired Influencer n’ont rien à envier aux grosses collaborations de l’album. Des morceaux qui sont certes moins « tubesques », mais qui se rattrapent aux branches par leurs sens de la mélodie ou leurs excentricités — par exemple Skinny Ape qui se termine en délire punk/oi!. Si le duo maîtrise bien une chose, c’est sa capacité à créer des chansons pop assumées — voire ultra-pop sur ce disque — en les tordant juste ce qu’il faut pour les rendre attachantes, addictives, modernes ou totalement surréalistes.
Sur « Cracker Island », Gorillaz donne l’impression de penser chaque morceau comme un potentiel tube. C’est-à-dire comme un titre qui ne fait pas partie d’un ensemble — à savoir ici un album — mais qui aura sa propre vie en solo. Une manière de penser la musique qui est ancrée dans son temps — devenir tendance sur TikTok, entrer en playlist, etc. — mais qui n’est pas toujours la bonne pour le format album, fatalement plus long. Sur ce point, « Cracker Island » s’approche plus d’une compilation que d’un véritable disque. Mais attention, on parle là d’une très très bonne compilation.
Pour écouter « Cracker Island », c'est juste ici.