2021 M09 30
Cette génération n’a pas de barrière. Et Joy Crookes, 22 ans, est un exemple parmi d’autres que la société - et donc la musique - est en train d’évoluer vers des terrains encore peu explorés.
L’artiste londonienne, née d’un père irlandais et d’une maman bangladaise, est désormais fière de ses origines. Ça n’a pas toujours été le cas. Quand elle commence, vers 13 ans, à enregistrer ses premières reprises, elle n’assume pas son accent irlandais et tente de le cacher en chantant comme les Américaines. Dans sa chambre, Joy et sa guitare s’attaquent alors à The Pogues, Sinead O’Connor ou encore Bob Dylan, et ses premiers pas finissent sur YouTube où elle poste des vidéos. Entre temps, la jeune fille explore la musique à plusieurs en formant des groupes avec des potes. Ils reprennent New Order et font le montage audio sur des logiciels gratuits. Ce sont les balbutiements, des amorces. Joy sait déjà qu’elle a envie de tenter l’aventure de la musique. Mais pour elle, ses vrais débuts se font à 18 ans, l’âge où elle réalise une performance remarquée dans l’émission Colors.
Au moment de Colors en 2017, Joy a sorti son premier EP intitulé « Influence EP ». Des chansons brutes et intimes qui parlent aussi bien de sa stupéfaction dans un « red district » en Belgique (New Manhattan) que des femmes qui marquent et ont marqué sa vie (Power). Cet EP introduit la voix de Joy, mais pas encore totalement son style, qui évolue plus vers la pop sur « Reminiscence EP » deux ans plus tard. Si le coté soul et jazz sont présents, et que les comparaisons avec Amy Winehouse, Solange ou encore Shirley Bassey jalonnent les articles de presse à son sujet, Joy Elizabeth Akther Crookes tente d’incorporer sa propre marque dans ses musiques.
Déjà, elle assume pleinement sa voix et son accent. Puis elle s’autorise à créer des ponts entre les genres, elle fait de ses failles des forces, de sa vulnérabilité un atout et de son multi-culturalisme un chemin pour puiser son inspiration. Sa vie de tous les jours dans le sud de Londres, quand elle se rend au « chicken shop » du coin de la rue avec deux livres en poche ou quand elle traîne en enchaînant les cigarettes, se retrouve dans ses compositions (For a Minute).
Dans un entretien avec The Line of Best Fit, Joy parle de la chanteuse M.I.A, d’origine tamoule (Sri Lanka), comme d’une autre source d’inspiration, notamment pour ses engagements politiques et son soutien à certaines causes.
Mais la jeune artiste, qui profite de son exposition pour aborder des sujets qui lui tiennent à cœur, n’a pas non plus envie d’être une chanteuse cataloguée comme étant « la voix des minorités » :
« Je ne veux pas parler au nom de tous les musiciens issus de minorités ethniques, mais je pense qu'il y a certainement plus de responsabilités qui nous sont confiées qu’à nos homologues blancs par exemple. Pour moi, en tant qu'artiste, je crois que j'ai la responsabilité de parler parce que je pense qu'avoir une voix est si important – même en tant que femme, car j’ai vu de nombreuses femmes dans ma famille n'ont pas eu de voix –. Mais cela ne veut en aucun cas dire que j'essaie de représenter le Bangladesh, l’Irlande ou une communauté sud-asiatique. Ce n'est tout simplement pas mon travail. Et je ne pense pas non plus qu'il devrait être de la responsabilité de qui que ce soit de parler au nom d'une nation ou d'une communauté », raconte Joy au site Clash.
Toutes ses chansons écrites entre 15 et 21 ans, toute sa vie, toutes les cultures qu’elle côtoie et toutes ses pensées se retrouvent dans un premier album intitulé « Skin » prévu pour le 15 octobre. Ce disque, qui a été réalisé au studio des Kinks à Londres (le Konk Studios) avec la section des cordes enregistrée au légendaire Abbey Road, est une immersion au plus profond de la vie de la Londonienne. Des chansons dans lesquelles Joy aborde aussi bien des histoires de cœur, de sexe sans lendemain, de santé mentale ou encore d’abus.
Sur Feet Don't Fail Me Now par exemple, l’un des singles du disque, elle évoque l’activisme en ligne et dénonce ceux qui font semblant de s’intéresser à des causes sur les réseaux sociaux sans réel engagement derrière. « J’écris parce que je me soucie de quelque chose. Et si quelque chose m'a affecté, ou m'a blessé, ou a blessé un meilleur ami, ou si je ne suis tout simplement pas d'accord sur la façon dont les gens traitent les autres, mon écriture arrive comme pour prendre soin des autres », indique Joy à Hot Press. Ça résume bien une phrase qui se dit souvent dans la musique : le premier album résume souvent une vie toute entière.
L'album « Skin » de Joy Crookes sort le 15 octobre.