Et les meilleurs albums déjà sortis en 2021 sont...

À défaut de pouvoir compter sur la plupart des mastodontes, les six premiers mois de 2021 ont fait la part belle à des artistes aventureux, auteurs d’albums qui s’imposent déjà parmi les disques les plus frais, intenses et accrocheurs de l’année. La preuve par dix.
  • Myd - « Born A Loser »

    Tout est une question de langage. En adoptant avec talent celui de la pop, Myd peut légitimement espérer pouvoir jouer des coudes au sein des charts anglo-saxons, quitte à faire chanceler l’hégémonie triomphante des britanniques en matière de pop-songs. Le premier album solo du poulain de l'écurie Ed Banger est en tout cas le meilleur remède à la morosité de ces derniers mois : « Born A Loser » sent bon le sable fin, les chaleurs estivales et cette foutue mélancolie que l'on laisse de côté le temps d'une fête pour aller se frotter aux plus beaux corps de la soirée.

    Le moment fort : Indéniablement, Let You Speak avec son immédiateté pop et ses envolées solaires qui rappellent que Myd a certainement beaucoup écouté Metronomy à une époque.

    Black Country, New Road - « For The First Time »

    Les gars et les filles de Black Country, New Road sont basés à Londres, mais ils ne comptent pas en rester là. Tout, chez eux, trahit l'envie de n'être rattachés à rien, ni à une ville, ni à une scène musicale et encore moins à un son. Sans doute est-ce pour cela que les morceaux de ce premier album durent entre cinq et neuf minutes, multiplient les zigzags sonores et contiennent autant de post-rock que de free jazz et de spoken word. « Gross misunderstanding of my influences », chante Isaac Wood sur Athens, France. Au moins, c’est clair !

    Le moment fort : Toutes ces digressions sonores qui laissent à penser que l'enregistrement de « For The First Time » n'a été qu'une longue tentative de canaliser les improvisations de ces enfants sauvages.

    Squidji - « Ocytocine »

    Orelsan, Damso, Stromae, Lexa Large ou encore Ichon : on ne le dira jamais assez, mais tous les rappeurs influencés plus ou moins indirectement par Disiz ont tous pour point commun d'enregistrer de sacrés bons albums, finement pensés. Squidji s'inscrit dans la même tradition avec ce « Ocytocine » produit par l’équipe de Damso (Ponko, Prinzly, Ikaz Boi, Saint DX) et enregistré aux côtés d’artistes de bons goûts : Josman, Jäde, Lous & The Yakuza, Lala &ce et, comme une évidence, Disiz.

    Le moment fort : NOUS et CHANGER, deux morceaux placés en introduction et en conclusion dont les inclinaisons gospel contrastent avec la noirceur d’un SUBARU ou le romantisme légèrement naïf d’un A.M.O.U.R.

    Erika De Casier - « Sensational »

    À propos d’Erika de Casier, on pourrait rappeler les artistes qui ont plébiscité sa musique (Clairo, Dua Lipa, Shygirl) et préciser que, contrairement à ce que laisse supposer son nom, elle est originaire du Danemark. Mais ces infos sont loin d’être les plus essentielles à l’écoute de son deuxième album, paru chez 4AD (Cocteau Twins, Pixies, etc.). Non, ce qui fascine au sein de « Sensational », c’est cette science du refrain attrape-cœur, cette faculté à poser un chant très référencé (à Sade, à Janet Jackson, à TLC) sur des mélodies qui doivent davantage à la jungle, à la house ou à la bossa nova qu’à un R&B des années 2000.

    Le moment fort : Drama, qui donne envie de redevenir adolescent et de se faire larguer pour pouvoir noyer ses larmes à l’écoute de ce tube bienfaiteur.

    Bicep - « Isles »

    Il n’a fallu qu’une écoute de ce disque pour comprendre que l’on tenait peut-être là l’album électro de ce début d’année. Une juste récompense pour le duo irlandais, qui a bossé dessus plus de deux ans, accumulé plus de 150 démos et multiplié les entrelacs entre la house, la dream-pop, le R&B et les textures cinématographiques. Four Tet, Caribou ou même Jamie XX peuvent se réjouir : ils tiennent là deux solides concurrents !

    Le moment fort : Atlas, le premier morceau de l’album. L’un des plus frais, intenses, excitants et rêveurs de l’année en cours. Et probablement des années suivantes.

    Squid - « Bright Green Field »

    Une performance remarquée au Pitchfork Festival en 2019, une rencontre déterminante avec Dan Carey, un premier album publié chez Warp et des accointances avec une nouvelle scène britannique attirée par les extrêmes (black midi, Black Country, New Road) : en quatre informations, toute la folie et la singularité du quintet de Brighton sont posées. Sauf que le premier album de ces doux illuminés ne se résument pas à ces quelques lignes biographiques. « Bright Green Field » est un manifeste, le symbole d'une génération post-Brexit qui profite des tensions en Angleterre pour tenter crânement sa chance et tout mélanger, le post-punk et l'ambient, les rythmes motoriques et une poésie parfois abstraite.

    Le moment fort : Il y aurait beaucoup à dire sur ces onze morceaux, mais peut-on rester muet face à une telle pochette, naturaliste et futuriste dans un même élan ?

    SCH - « JVLIVS II »

    Des albums concept dans le rap français, il y en a déjà eu. Des suites tout aussi abouties que le premier album, nettement moins. C'est là l'exploit réalisé par SCH avec le deuxième tome de « JVLIVS » : le genre de disque au propos si dense et à la proposition musicale si riche qu’il semble impossible de l’ignorer. Et d’en saluer le parti-pris, tout en paroles narratives et en références cinématographiques.

    Le moment fort : Fantôme n’est pas présent sur la version classique de « JVLIVS II », ce n’est qu’un bonus track, et c’est bien dommage. Parce qu'il réunit plusieurs générations du rap marseillais (Le Rat Luciano et Jul sont invités ici). Et parce que l’alchimie entre les trois rappelle à quel point le hip-hop phocéen a décidé d’avancer main dans la main depuis « 13'Organisé ».

    Para One - « SPECTRE : Machines of Loving Grace »

    Ce n'est pas tous les jours qu'on tombe sur un disque qui réussit à croiser parfaitement Steve Reich et la techno de Détroit, l'acoustique et l'électronique, les chorales d'Europe de l'Est et une tradition mélodique héritée de l’Europe de l’Ouest. C’est justement parce qu’il porte en lui une exigence rare que ce nouvel album de Para One (TTC, Céline Sciamma, Birdy Nam Nam, Bonnie Banane…) séduit de bout en bout.

    Le moment fort : « SPECTRE : Machines of Loving Grace » fait partie de ces albums que l’on ne peut envisager autrement que dans leur globalité. C’est une odyssée, mystique et hybride, rêveuse et contemplative, qui donne envie de vivre cette expérience sensorielle sur grand écran. Ça tombe bien, le long-métrage arrive à la rentrée.

    Mach-Hommy - « Pray for Haiti »

    Mach-Hommy est loin d’être le plus connu des rappeurs débarqués de Big Apple. Pourtant, il pourrait bien être celui qui vient de ressusciter cette grosse pomme dont il ne reste plus que le trognon, endeuillée par la disparition de certains de ses fiers représentants (DMX) et délaissée par ses figures de proue. C’est à la fois chanté et rappé, boom-bap et soulful, psyché et en même temps politique, purement ricain ou très clairement influencé par la culture créole... Bref, « Pray For Haiti » offre plusieurs niveaux de lecture, ce qui est tout de même le propre des œuvres sur lesquelles on revient sans cesse.

    Le moment fort : Le triptyque Folie à deux - Murder Czn - Rami, qui marque la réunion/réconciliation de Mach-Hommy avec Westside Gunn, son ancien complice au sein de Griselda, collectif dont font également partie Benny The Butcher et Conway The Machine. Une certaine idée de New York, en quelque sorte.

    Dry Cleaning - « New Long Leg »

    Jusqu’ici, on ne connaissait de Dry Cleaning que quelques morceaux balancés ça et là dans des EP’s prometteurs. Aujourd’hui, ce premier album renferme une certitude : celle d'avoir affaire ici à quatre kids turbulents, qui ont illico gagné leurs ronds de serviette à la table d'une nouvelle génération de punk-rockeurs britanniques (Squid, Billy Nomates, FEET), moins attirés par la lumière des projecteurs que par les riffs ciselés et les mots que l’on crache au visage des auditeurs. Si bien que ce ne sont pas de simples histoires de garçons et de filles que raconte Dry Cleaning. C'est un cri, primal et réaliste, qui s'autorise l'humour. Et qui mérite d'être entendu.

    Le moment fort : La production de John Parish (PJ Harvey, Eels), qui a embarqué la bande dans un studio au Pays des Galles et est parvenu à densifier et électriser le son d'un groupe entièrement tourné vers le spoken-word. Clairement, ça n'a rien d'un mince exploit.